« Tu devrais me flanquer une petite trempe, de temps en temps. Tu ne me frappes jamais. Pourquoi tu ne me frappes jamais ? Tu peux, tu sais. Un jour, si tu as envie, tu peux me frapper. Tu peux me flanquer une petite trempe. Pourquoi tu ne me flanquerais pas une petite trempe, de temps en temps ? Tu devrais, tu sais. »

Elle m’a dit ça un matin sans préambule, comme elle aurait dit je mangerais bien italien ce soir, pour changer, ou allons en Écosse, pour voir, est-ce que ça te ferait plaisir. Elle m’a dit ça au petit-déj., comme une litanie, une prière monocorde, en levant ses yeux verts de son bol de café, une mèche dans les yeux, comme ça, comme si c’était une petite demande toute simple, une évidence, j’avais oublié de te le dire, mais si ça te fait plaisir, frappe-moi, flanque-moi une petite trempe. Tu peux. De temps en temps.

« Tu devrais me flanquer une petite trempe, tu sais. Je l’ai bien méritée. Frappe-moi. J’ai été méchante. Frappe-moi, mon amour. Viens me dire que tu m’aimes. Viens me dire que je suis méchante. Je suis méchante. Flanque-moi une petite trempe. Je l’ai bien méritée. J’ai été méchante. Frappe-moi. S’il te plaît. Dis-moi que tu m’aimes. »

Elle m’a dit ça sans pathos, tout d’une traite, de sa voix à la fois claire et rauque. Mécaniquement. Elle était assise en tailleur sur le lit, ses longs cheveux chiffonnés sur les épaules. Elle fumait, elle avait bu, pris des médocs, que sais-je, elle avait baisé en tout cas.

Elle s’était fait baiser. L’odeur de cette chambre me rendait fou. L’odeur de l’amour qu’elle n’avait pas fait avec moi. Ses vêtements gisaient aux quatre coins de la pièce, et elle, nue, assise en tailleur, elle fumait sur le lit et me regardait en me disant frappe-moi, flanque-moi une petite trempe. Elle était stone, j’étais que sais-je, ce fut la première fois. La première fois que je lui ai fait plaisir.

Ensuite, ça m’a rendu fou. C’est devenu un système. Elle se bourrait la gueule, elle se pétait aux médocs, elle faisait conneries sur conneries. Elle se faisait baiser. Puis elle s’est mise à piquer dans les grandes surfaces. À accoster des mecs dans la rue. Et à chaque fois le même scénar : la récupérer dans un café, chez les flics, ou la retrouver ici, penaude, sale, stone. Quémandant sa petite trempe. Frappe-moi. Flanque-moi une petite trempe. J’ai été méchante. Dis-moi que tu m’aimes. Frappe-moi. Tu devrais me flanquer une petite trempe. Pour m’apprendre à vivre. S’il te plaît.

Elle me rend fou, fou de colère, elle me fait bander d’être si loin, si proche, de la regarder se consumer, de l’entendre quémander des coups de sa voix rauque et mécanique, frappe-moi, dit-elle, soulevant doucement sa jupe, écartant un peu les jambes, dis-moi que tu m’aimes, flanque-moi une petite trempe. Mon amour.

Marie T., 41 ans, est décédée vendredi d’un œdème cérébral à Neuilly-sur-Seine (à côté de Paris), cinq jours après avoir sombré dans le coma. Elle était dans un coma profond depuis dimanche après une violente dispute avec son compagnon Bertrand C. Elle était déjà cérébralement morte depuis mardi, selon les médecins qui l’ont traitée.

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