Une sale histoire d’influence

Jacqueline De Clercq,

Je le dis haut et fort, mes congénères et moi-même sommes victimes d’une entreprise de dénigrement caractérisée qui, aujourd’hui, a pris des dimensions planétaires.

Sans doute ne nous a-t-on jamais portés aux nues, mais on nous tolérait. Nous étions vus comme un aléa de la vie, quelque chose de l’ordre du coup de dé… oserai-je, mallarméen ?… Un aléa automnal, ni plus ni moins. J’en connais même qui sont allés jusqu’à nous souhaiter, c’est dire…

Mais l’intérêt croissant dont nous sommes devenus l’objet durant les années quatre-vingt a terni notre image et sévèrement hypothéqué les relations que nous entretenions avec nos hôtes, des relations que je qualifierais de mutuellement respectueuses. Seulement voilà, le respect se perd…

La presse, dont la propension à confondre information et propagande n’est plus à souligner, s’est empressée de nous diaboliser, trop heureuse de créer dans l’opinion publique, toujours prête à trembler, un effet de panique d’autant plus prégnant qu’il opérait sous l’égide de la recherche scientifique. Pensez donc… la Faculté avait parlé…

Arrêtons-nous un instant sur ce type de propagande insidieuse dont les arcanes ne nous sont pas toujours bien connus. Elle opère par étapes successives, à petits pas feutrés, avançant ses pions mine de rien. D’abord, une nouvelle brève puis, une autre, trois lignes à peine, juste de quoi faire passer une information factuelle. Puis très vite, un article un peu plus consistant, précédé d’un chapeau du genre : comme nous l’évoquions dans nos éditions précédentes… Ensuite, se publie un article de fond, deux colonnes bien remplies avec quelques références scientifiques de choix, de préférence, étrangères. Le terrain est prêt pour la parution d’un dossier de plusieurs pages, comportant une partie historico-analytique, l’une ou l’autre interview de sommités nationales en la matière, des encadrés synoptiques pour le lecteur insuffisamment attentif, le tout agrémenté de photos couleurs.

À partir de ce moment, le poisson est ferré, il frétille de trouille ; plus il en apprendra, mieux ce sera. Il va donc dévorer tous les appâts qui lui seront proposés.

La communication peut changer de style. Finis les articles dont la matière est dûment recueillie auprès des milieux mieux que bien informés : les laboratoires universitaires et autres centres de recherches d’excellence, bonjour l’info coup de poing placée sous des manchettes percutantes et sous des unes sensationnalistes. La sublime efficacité de la statistique peut alors s’afficher : les taux de mortalité et de morbidité ainsi que la proportion de séquelles graves parlent d’eux-mêmes, lit-on… Les journalistes ont fini de plancher, ça roule tout seul. Quant à la panique, elle continue de progresser comme une fièvre quarte…

Voilà de quoi nous sommes victimes. Voilà contre quoi nous avons été contraints et forcés de réagir. Voilà, dès lors, pourquoi nous en sommes venus à nous défendre. Car c’est bien de légitime défense qu’il s’agit, une question de vie ou de mort, ni plus ni moins…

Lorsqu’on nous tolérait encore, on nous disait fantasques… Fantasques, voyez un peu… Est-ce là l’épithète qui convient à des êtres qui témoignent d’une forte capacité d’adaptation ? D’autres eussent été qualifiés d’intelligents, pour de semblables qualités !

Non, nous ne sommes pas fantasques et non, nous n’apparaissons puis ne disparaissons au gré de je ne sais quel caprice. Nous sommes depuis toujours un peuple de voyageurs, nous nous déplaçons de l’hémisphère sud à l’hémisphère nord où nous résidons six mois par an. Combien de retraités ne font-ils pas exactement pareil : l’hiver dans le Midi, l’été dans le Nord ? Et pour nos déplacements, nous utilisons les moyens de transport qui sont à notre disposition : l’avion, le bateau, la voiture… Comme tout le monde ! Une fois sur place, nous utilisons les véhicules locaux, l’air, la parole, la poignée de main, la caresse, le baiser.

Le travail de sape du dénigrement était à l’œuvre, il nous fallait d’urgence lui opposer une riposte radicale.

Qu’avons-nous fait ? Nous avons totalement repensé notre influence – quand on s’appelle influenza, peut-on mieux faire ? Nous avons répertorié, sous toutes les latitudes, nos souches cousines les plus virulentes : la A/Fujian d’Australie et de Nouvelle-Zélande, la A/ Panama, la A/New Caledonia, la B/Hong Kong et la B/Shangdon d’Asie et la redoutable A/Moscow. Chaque année, nous en privilégions une ou deux, et le tour est joué !

Enfin, presque… Parce qu’en face, on s’est empressé de fourbir l’arme vaccinale. Depuis les travaux de Pasteur, ils savent tout sur le corps des anticorps du corps. Ce sont ces traîtresses de poules qui ont proposé leurs œufs embryonnés pour cultiver nos fameuses souches en vue de la fabrication du vaccin. Merci, les poulettes ; dans le genre mères de martyres, vous avez fait très fort !

Heureusement, nous gardons une longueur d’avance : le vaccin protège contre les souches de l’année précédente… Les anticorps du groupe B étant inefficaces contre les virus du groupe A, d’une année sur l’autre, nous passons d’une lettre à l’autre. Pour l’immunité totale, c’est raté. Malins les mutants, pas vrai ?…

Évidemment, depuis le déclenchement des hostilités, nous ne nous contentons plus de provoquer quelques raideurs au niveau de la nuque et de légères céphalées, eh non !… De la fièvre, des douleurs articulaires, des névralgies, une intense fatigue et de fréquentes complications pulmonaires et cardiaques sont dorénavant le triste lot de nos hôtes, quand ce n’est pas le décès. Deux mille, l’an dernier, rien qu’en Belgique ! Désolés, fallait pas nous prendre en grippe et nous pousser à bout ! Et je ne vous dis rien du bonheur des entreprises… Car quand ça grippe, ça coûte… cinq à sept jours d’absence par tête de pipe, c’est pas donné ! Résultat, on pique à tour de bras.

Et chaque année, à même époque, nous défrayons la chronique… Pas n’importe comment, ni n’importe où ; ils ont fini par comprendre que nous ne sommes pas un fait divers anodin, aussi nous font-ils les honneurs de la une… Pas moins ! Parce que nous le valons bien.

Telle est la fantas-ti-que revanche des variants !

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