Fausto Bama : mister le président

May Fistonne : conseillère sexy

Bretzel Ski : conseilleur occulte

Ellari Blingtong : secrétaire en état

Voix off : une standardiste de standing

 

SCÈNE 1

 

Bureau ovale. Téléphones par dizaines. Ordinateurs, écrans.

FAUSTO BAMA (Au téléphone.) : Préparez les dossiers du retrait des troupes en Irak… Oui, dans deux heures. (Autre téléphone.) Et la sécurité sociale, vous planchez dessus, oui ou non ? Il faudrait tout de même vous dépêcher. Je rappellerai. (Autre téléphone.) Un instant. Un président doit aussi passer par les toilettes. Rappelez plus tard. (Il va vers la porte)

MAY FISTONNE  (Dans l’embrasure.) : Avez-vous besoin d’un conseil, mon très cher Mister le Président ?

FAUSTO BAMA : Non, May Fistonne. Je vous remercie. Certes, vous avez été nommée conseillère à cause des services rendus durant la campagne. Mais désormais, les choses se sont mises en place. Profitez de votre bureau. De votre personnel. Vivez. Payez-vous un petit stagiaire sexy. (Il sort.)

MAY FISTONNE : Vous êtes sûr que vous n’avez nul besoin de mon aide ? Vous savez, mes relations sont infinies… Fichtrement difficile à convaincre notre jeune élu. Difficile à tenter aussi. Il a tout. Une femme médiatique. Des enfants  télégéniques. Des sondages insondablement en hausse constante.  Pas de faille apparente. Mais, patience ! patience ! Je ne l’ai pas poussé pour rien.

Elle fait surgir de son corsage avec dextérité un micro minuscule qu’elle dissimule sur le bureau présidentiel puis s’éclipse.

FAUSTO BAMA  (De retour, fermant sa braguette.) : Ça va mieux ! Bon. Trop de problèmes à résoudre en même temps. Trop de promesses lancées comme des pubs. Rien ne sera facile. Et il faut pourtant en finir au plus vite. (Téléphone.) Lui-même. Ah ! c’est vous Robert. Heureux de vous entendre. … Vous avez une proposition de la CIA ? … Oui. Concernant le Ku Klux Klan ? Mmmm…

MAY FISTONNE (Passe la tête à la porte.) : Palpitant. Mais ça va foirer. Il écoute trop les bondieusisants principes merdiques de l’Autre et de son Église. Qui sait, bordel, il suffit parfois d’un rien ?

FAUSTO BAMA : Vous n’y songez pas tout de même ? Robert, je sais que vous connaissez bien les rouages de l’institution, que vous avez été là où il fallait au moment du printemps de Prague… Oui, oui, je les connais les dossiers de mes collaborateurs. Vos anciens collègues ont dû vous transmettre l’information, non ? … Permettez-moi de vous rappeler les missiles stinger donnés naguère en Afghanistan contre les Russes. … Alors, vous comprenez, liquider mine de rien, un à un tous les membres du Klan, vous ne trouvez pas que cela finirait par paraître terroriste ? …  Je vois que vous m’avez compris. (Raccroche ; aperçoit May.) Tiens, vous étiez là ?

MAY FISTONNE : Oui, Mister le Président. (Comme par enchantement, elle fait surgir un plateau avec une bouteille de coca-cola munie d’une paille et accompagnée d’un paquet de pop corn.) Je songeais que vous pourriez avoir une grande soif et une petite faim.

FAUSTO BAMA : Posez tout cela ici. Merci. Je verrai tout à l’heure. Il y a des tâches plus urgentes que de satisfaire mon appétit physiologique.

MAY FISTONNE : L’appétit du pouvoir est insatiable, lui. Vous apprendrez vite à le reconnaître. Vous avez d’ailleurs déjà été à même de le déceler durant vos expériences précédentes et durant la campagne électorale, non ?

FAUSTO BAMA : Mmmm…

MAY FISTONNE (Avec une effet de poitrine.) : Alors bon appétit !

Pendant qu’elle sort, Fausto porte machinalement la paille à ses lèvres et puise une poignée de pop corn.

MAY FISTONNE (Passant un instant la tête.) : Vulnérable ! Comme tous les autres…

OFF : Ellari Blingtong demande à être reçue, Mister notre Président. Je n’ai rien dans votre carnet de rendez-vous. Et je me demande si…

FAUSTO BAMA : Qu’elle entre. Dans mon bureau, elle a la permission de me surprendre à n’importe quel instant. Je n’ai rien à lui cacher, moi. Elle le sait d’ailleurs… (Entrée d’Ellari Blingtong.) Chère Ellari, j’ai bien plaisir à vous voir, davantage qu’il y a quelques mois. (Ils s’embrassent puis consultent des dossiers.)

MAY FISTONNE (Passant une fois de plus la tête.) : Pour ça, mon salaud, tu t’y entends. Tu intègres tes ennemis d’hier pour en faire des alliés du jour et mieux les bouffer toujours. Nom de dieu ! tu t’y prends  plus balaise que quand moi j’ai débuté au bas de l’échelle de Lucky Fair. Mais j’aime ça les défis, les combats sans pitié. Gangrener les petits cons de politicards de quartier, c’est gnognotte, sans panache. Du boulot d’égoutier. Toi, au moins, tu as du répondant. Tu as trouvé à qui parler, mec, foi de May Fistonne !

FAUSTO BAMA : Nous perdrons sans doute un peu de voix mais il n’est plus question de nous laisser embobiner par les gouvernants d’Israël. Demandez à Bill qu’il vous épaule : il connaît la musique. Et à Bretzel Ski aussi : il a bien connu Lyndon, Jimmy, Ronald, Georgie senior et votre Billie. Pour Cuba, même jeu. Le vieux Fidel n’est pas éternel. Prenez de discrets contacts.

ELLARY BLINGTONG : Je mets des promoteurs immobiliers sur la piste ?

FAUSTO BAMA : Vous avez carte blanche. De la part d’un noir, ce n’est pas rien. Je ne tiens pas à savoir quelle stratégie sera la vôtre. Le résultat seul compte. (Ils s’embrassent. Ellary sort.)

MAY FISTONNE (Apparaissant sur un des écrans.) : Patience ! patience ! mon petit Fausto. Je place mes pièges. Ta petite âme d’évangéliste noiraud ne perd rien pour attendre. T’as les embarras, j ’ai les appâts. T’as l’ambition, j’ai la potion ! rendez-vous l’an prochain… (Neige sur l’écran.)

 

NOIR

SCÈNE 2

 

Même lieu, un an plus tard. Fausto Bama classe des dossiers. Il fredonne « Oh, when the saints go marching in ».

MAY FISTONNE (Surgit derrière lui.) : Ça  se déroule selon vos désirs, Mister le Président ?

FAUSTO BAMA : Vous êtes déjà là ? Décidément, May, vous avez le chic pour surgir quand on ne vous attend pas vraiment. Vos apparitions ont quelque chose de diabolique. Personne ne vous l’a jamais dit ?

MAY FISTONNE : N’écoutez pas les ragots. L’essentiel n’est-il pas que je vous ai ramené un bon paquet de voix au moment des élections ?

FAUSTO BAMA : Sans doute. Sans doute.

MAY FISTONNE : Je ne suis pas idiote, vous savez. Je connais les humains. Je ne vous demande pas de reconnaissance. Simplement que vous écoutiez mes conseils, de temps à autre. C’est pour cela que je ne suis jamais loin. J’adore me sentir utile.

FAUSTO BAMA : Franchement, en un an, cela n’a pas mal avancé. Il reste du travail, bien entendu. Mais nous avons encore un peu de temps… Comment se porte votre mari ?

MAY FISTONNE : Lucky Fair ? Fort bien ma foi. Entre nous, Mister le Président, vous le savez comme moi, plus le monde va mal, plus ses affaires prospèrent. Lorsqu’il peut titrer ses journaux sur des crimes ou mettre au sommaire des actualités télévisées des magouilles énormes, il accroît le nombre de ses lecteurs et de ses téléspectateurs. Mais vous le savez aussi, cela n’interfère en rien dans mon activité de conseillère. Il a son travail, j’ai le mien.

FAUSTO BAMA : Tout le monde n’est pas de cet avis. Mais je n’en tiens aucunement compte. Sinon vous ne seriez plus à mes côtés.

MAY FISTONNE : Que diriez-vous si je vous offrais l’immortalité ?

FAUSTO BAMA : C’est déjà réalité. Être le premier président noir, cela suffit pour entrer dans l’Histoire et y rester.

MAY FISTONNE : Et si je vous proposai tous les pouvoirs les plus absolus ?

FAUSTO BAMA : Je les ai déjà, chère May. Je les ai. J’en dispose. Sans doute plus pour longtemps car le monde change. Mais en attendant…

VOIX OFF : Madame Ellari et monsieur Bretzel viennent d’arriver pour la réunion. Il ne manque que Madame May, Monsieur notre Président.

FAUSTO BAMA : Ne vous inquiétez pas. Elle est là, déjà.

VOIX OFF : Je n’ai pas quitté mon bureau et je ne l’ai pas vue passer… Je vous jure, je suis restée à mon poste. Ben ça alors !

Entrent Ellari Blingtong et Bretzel Ski. Salutations, embrassades. Les 3 conseillers se tiennent debout groupés comme un chœur antique.

ENSEMBLE : En Irak, sur le sable, aucun soldat ne reste. Les troupes disparues, laissent place à la peste.

FAUSTO BAMA : Ce n’est pas l’idéal mais c’est bien mieux que rien.

MAY FISTONNE (À part, joyeuse.) : Les attentats n’ont pas cessé.

ENSEMBLE : Le malade assuré, chez nous, est protégé. Il verra donc dès lors sa facture allégée.

FAUSTO BAMA : Grâce au progrès social, ils ne sont plus des chiens.

MAY FISTONNE (À part.) : Restent cancer et son jumeau sida.

ENSEMBLE : À Guantanamo, les cellules sont vides. Elles n’attendent plus qu’estivants intrépides.

FAUSTO BAMA : Torture et abjection me rendaient parano.

MAY FISTONNE (À part.) : Les autres prisons débordent.

ENSEMBLE : Les narcotrafiquants se voient mis en déroute. Pourchassés sans répit, ils frisent banqueroute.

FAUSTO BAMA : C’est très bien fait pour eux et nous aurons leur peau.

MAY FISTONNE (À part.) : Les néo-drogues chimiques pullulent.

ENSEMBLE : Le chômage est couvert par de meilleurs dollars. Même si citoyens se retrouvent poissards.

FAUSTO BAMA : Ça ne vaudra jamais des emplois garantis.

MAY FISTONNE (À part.) : Les suicides vont croissant.

ENSEMBLE : Juifs et Palestiniens se parlent davantage. La cohabitation récolte leurs suffrages.

FAUSTO BAMA : Nous progressons bien sûr mais ce n’est pas fini.

MAY FISTONNE (À part.) : De fort beaux jours pour les antisémites !

BRETZEL SKI : Reste l’économie, Mister le Président.MAY FISTONNE : Et ce n’est pas le plus commode.

ELLARI BLINGTONG : La complexité du système le rend fragile et délicat.

MAY FISTONNE : Imprévisible et mensonger.

BRETZEL SKI : Inadéquat et, si j’ose le dire, plutôt caca.

FAUSTO BAMA : Je sais. Je sais. Je sais. J’ai promis, je tiendrai. Laissez-moi méditer. Je vous reconvoquerai.

Poignées de mains, embrassades. Ils sortent.

FAUSTO BAMA : Tout est trop complexe. J’avais misé sur Rubin Déboi, le grand libéralisateur, pour faire l’inverse de ce qu’il me conseillerait puisqu’il a tout dérégulé du temps de Billie. Mais même là, je n’y vois plus très clair.

MAY FISTONNE (Apparaissant sur un écran.) : Fausto, mon bien cher Fausto ! Tu ne t’en sortiras jamais solo. Tu sais que je peux t’aider.

FAUSTO BAMA : Pas plus que les autres vous n’y pouvez. On ne règle pas l’économie comme on engrange des voix en campagne électorale. Laissez-moi. Je vais prier.

May Fistonne disparaît. Fausto Bama joint les mains et marmonne. Flammes et crépitements virevoltent d’un écran à l’autre. De temps en temps apparaissent brièvement les figures du pape Benoît XVI et de Jésus, vite recouvertes par les flammes.

MAY FISTONNE (Surgissant derrière lui.) : Mister le Président, c’est insoluble. La réussite ne descendra pas de là-haut. Elle viendra de vous. Et de moi. Vous en êtes persuadé au fond de vous. Mais vous ne voulez pas vraiment vous l’avouer. De même que vous n’avez jamais soulevé la question de savoir de quelle manière j’ai ratissé ces centaines de milliers de voix en votre faveur. Vous vous en doutez évidemment. Vous préférez cependant – et comme je vous comprends – ne pas approfondir le sujet. Cela vaut mieux, assurément.

FAUSTO BAMA : J’aurai trop à perdre en prêtant l’oreille à vos suggestions.

MAY FISTONNE : Vous ne perdrez pas l’amour de votre femme, ni celui de vos filles. Vous ne perdrez ni votre sourire éclatant ni votre prestance élégante, ni votre faculté d’embobiner les foules. Vous garderez votre auréole africaine, votre éclat multiculturel. Vous ne perdrez rien d’essentiel.

FAUSTO BAMA : À quel prix ?

MAY FISTONNE : Bien peu. Je vous demande en échange une chose dont les politiciens ne se servent jamais.

FAUSTO BAMA : Oui ?

MAY FISTONNE : Votre âme. Votre petite âme.

FAUSTO BAMA : Désolé. Elle m’appartient. Ma grand-mère et moi l’avons façonnée au fil des années et des épreuves. Jamais, entendez-vous, jamais, au grand jamais… (Il décroche un téléphone.) Allo, la comptabilité, préparez le solde des émoluments de madame Fistonne. Elle n’appartient plus désormais au personnel de la maison.  C’est un ordre à immédiate exécution. (Il raccroche.)  Déguerpissez  avant que je ne lance la C.I.A. à vos trousses. Et que je ne vous revoie plus sur le chemin de mon destin.

May Fistonne disparaît avec un énorme rire. Un temps. Fausto Bama tourne en rond, marche de long en large, gesticule, émet des litanies de grommelots. Soudain, un écran s’allume. On y voit les cours de Wall Street s’effondrer. Un autre suit avec la bourse de Tokyo. Une radio annonce : « Général Motors déclaré en faillite. 300.000 chômeurs lancés sur le marché. » Un écran montre une manifestation de travailleurs réprimés par la police. Un autre visite une usine désaffectée. Un autre montre le cours du pétrole crevant les plafonds. Une radio clame : « Émeutes raciales à Los Angeles». Une télé montre en gros plan un banquier se brûlant la cervelle en direct. Une caméra panoramique sur des S.D.F. couchés sur des kilomètres de trottoirs. Etc, etc…Bruits croissants : cris, vociférations, explosions, pleurs… Au bout d’un moment, tous les écrans montrent la même image : des hommes, du haut des gratte-ciel de New York jettent des tonnes de dollars dans les rues.

MAY FISTONNE (Contemplant la scène.) : Tous comptes faits, je ne l’ai pas eue, son âme, sa petite nanâme. Mais Lucky Fair ne m’engueulera pas d’avoir raté. J’ai pris celles de millions de connards prêts à se vendre ou à vendre les leurs à n’importe quel prix. Putain, quel cirque ! Le plus beau bordel planétaire jamais connu depuis qu’on a inventé les religions et le fric. (À la salle.) L’enfer, mes diablotins, c’est pas les autres, ah ça non ! Regardez-vous : c’est tout le monde !

Elle rit à gorge déployée tandis que reprend sur les écrans le ballet visuel et sonore des catastrophes économiques à travers la planète.

NOIR

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