Wonderbra ! Wonderworld !

Corinne Hoex,

Rideau de velours pourpre. Lustre aux cinq cents lumières. Parfums fleuris. Visons. Rubis. Smokings. Du monde. Dans les loges. Les corbeilles. Les baignoires. Au parterre. À l’orchestre. Sur chaque strapontin. Et jusqu’au paradis. Du monde au balcon aussi. Armatures. Dentelles. Machinerie. Feux de la rampe. Push-up et Wonderbra. Ça pigeonne pas mal. On veut se laisser prendre. 

Au premier rang :

—Cher Monsieur ! Vous ici ! Ce fauteuil est libre ?

—Il vous attend, cher ami, il vous attend… Asseyez-vous vite ! Vous avez de la chance.

—Alors, mon cher, comment va le monde ?

—Très bien ! Très très bien ! Le monde va très bien ! Nous y sommes, n’est-ce pas ! Nous sommes au monde ! Vous allez voir : de grands artistes !

—Ne craignez-vous pas que nous soyons trop près ? Les éclaboussures ? Les flammes ? Au fait, vous êtes déjà venu ?

—Pas encore, cher ami. Pas encore. Vous non plus ? Mais je vois que vous avez le programme… Un programme exceptionnel ! Ce soir, après le dîner, je n’y tenais plus. J’ai tendu le journal à ma femme : Je veux voir ça ! ai-je lancé. M’accompagnez-vous ? Ma femme a haussé les épaules : Mon ami, vous n’y pensez pas ! Restez sur terre ! Ils jouent à guichets fermés ! C’est un moment que je veux vivre, ai-je rétorqué, et je le vivrai ! J’ai appelé un taxi, chaussé mes vernis noirs, noué une cravate. Vous êtes un entêté ! a soupiré ma femme. Et, à présent, mon cher, vous en êtes témoin, l’entêté est au premier rang ! J’ai une bonne étoile. Tout à l’heure, dans le grand hall, un type revendait des billets. Assez gourmand, le bougre, entre parenthèses. Mais il est des satisfactions pour lesquelles on ne compte pas. Nous sommes des hommes de goût. Des hommes de choix. Ce soir, ni vous ni moi ne cèderions notre fauteuil pour un empire. La critique est unanime : c’est un must. Un must ! Vous avez vu : la salle est comble. Vous sentez cette émotion. Cette électricité dans l’air. Cette exaltation. Cette fièvre. Vous avez remarqué les petites ouvreuses, comme elles frémissent. Les petites ouvreuses… Vous m’excusez un instant ? Mademoiselle ! Ici, Mademoiselle ! Des bonbons, s’il vous plaît. Oui, très bien, mon petit, à la menthe, c’est parfait. Ça rafraîchit, la menthe. Merci, mon petit. Vous êtes mignonne. Gardez la monnaie. Ah ! Elle tremble ! Elle a le cœur qui bat. La jeunesse ! Vous avez vu ? On aurait dit qu’elle avait peur. Je n’allais pas la croquer, tout de même. Ah ! Mon cher !  C’est un soir qui comptera dans nos vies. Nous allons avoir du beau spectacle. Il y a des signes qui ne trompent pas. Une fois qu’on s’est assis dans ce théâtre, on ne repart plus, on s’accroche à son siège. C’est le journal qui le dit. Alors, vous comprenez… Et puis, vous avez vu l’affiche ? Le rendu de cette affiche ! Le trompe-l’œil ! La perspective ! Les couleurs ! Plus réel que le réel ! Et vous avez regardé la télévision ? Le Vingt Heures ? Vous  êtes un homme de votre époque : chaque soir, vous regardez le Vingt Heures. Leurs tours de passe-passe sont extraordinaires ! Leurs jongleries, époustouflantes ! Leurs effets spéciaux, prodigieux ! Très réalistes, très convaincants, leurs effets spéciaux ! Les grandes eaux ! Les déferlements ! Les explosions ! Les ouragans ! Les tempêtes ! Je vous le dis, cher ami : du beau spectacle ! Un succès planétaire ! D’ailleurs, vous voyez bien : il y a un monde fou !

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