La rue en pente offre aux deux frères un terrain d’exercices qui occupent une grande part de leurs journées d’été. Ce sont des courses, des joutes de chevaliers, des concours de remontées ou de descentes, qui sera le premier, qui battra son dernier record et les chutes aussi, les genoux écorchés, le bras de l’un qui soutient l’autre…

Des vapeurs de térébenthine jusque dans le jardin. Aujourd’hui concours de balançoire. Les nuages sont moutonneux, l’été humide, les énergies des gamins débordantes. Comme on ne peut pas lire tout le temps, l’exercice sous toutes ses formes reste leur meilleur défouloir. Lire la suite


Le sentirai-je ? m’emplirai-je ainsi du bleu du ciel ? du ciel et du bleu ? est-ce que je m’emplirai d’un ciel vide ou chargé de nuages ? est-ce que je m’emplirai de nuages ? de nuages blancs, de nuages gris ou bleus dont j’aurai tant besoin plus tard ? M’emplirai-je de vide, du vide du ciel bleu à rester ainsi ? m’emplirai-je de l’absence du ciel ou d’un ciel que je ne vois pas ? Deviendrai-je moi-même une part du ciel ? Lire la suite


En cette année, enfin, le HCP, Haut Commissariat aux affaires Psychiatriques va naître.

Des massacres, des désastres, des cataclysmes nouveaux ont révélé leur origine récurrente dans les probables déviations de tous ordres et systèmes depuis la création du Vide connecté et des Réseaux d’ignorance. Mais les débats sont houleux et produisent ce que produisent les débats : d’autres débats. Lire la suite


Friedrich et Karl sont fatigués. L’air d’Ostende les revigore mais les assomme la nuit venue. Ils se sont installés aujourd’hui face à la mer, à la terrasse de leur brasserie favorite, dans de confortables fauteuils d’osier et savourent leur apéritif en silence… Le vent siffle légèrement, comme un acouphène des pays de la mer.

Ce sont des habitués de cet établissement au patron broyeur de lieux communs. Son frère cadet est mort en mer, disparu, envolé, englouti comme tous ceux d’ici entre genièvre et tempêtes, raconte-t-il à tous ceux qui débarquent chez lui.

Ils sirotent, fument, sont heureux. Lire la suite


César était content.

La République, une et indivisible, était sauvée. L’Empire était à portée de main, les factions adverses avaient rendu les armes et certaines même s’étaient jetées du haut des remparts dans le fleuve. Elles avaient presque disparu. Elles se noyaient dans un silence glacé.

D’autres enragés rejoignaient les forces de César ou le Rang des Amers. On les nommait ainsi tellement leur rage, leurs invectives, leur misère morale, la pauvreté de leurs assauts et la vilenie de leur morale étaient difficiles à supporter. Mais c’était un peu de chacun de nous qui était là et nous en avions honte, des cousins, des frères, des mères, des enfants les avaient rejoints par défi et désespoir.

César était content. Lire la suite


« La nuit était tombée à genoux sur la ville et le givre avait glacé ce qui grouillait il y a peu. De ses épaules frissonnantes, la neige voletait dans l’ombre de sa masse assoupie. Les lampes s’éteignaient dans les glacis à l’orée des avenues et des immeubles. Un coulis de fatigue glissait dans les ruelles jusqu’à chaque foyer.

Aujourd’hui, vu passer des enfants de la première neige, malhabiles comme des canards sur un étang gelé. J’ai retrouvé à l’instant le souvenir de cette expérience de déséquilibre heureux devant ces jeunes anges colorés dans le matin blanc… Les mères marchent les bras ouverts en balancier sur la première neige des trottoirs, elles sont prêtes à la chute mais avancent en glissant lentes et incertaines un sourire aux lèvres. Lire la suite


« Ça n’a pas grande importance, je lui écrirai demain » et il se mit au lit en reprenant sa lecture de la veille.

La Poste faisait grève et le courrier mit une semaine avant d’arriver. On prit une nouvelle semaine pour lui répondre et il s’offrit le temps de la réflexion avant de signer la lettre où il confirmait sa décision de partir.

* Lire la suite


 

C’était sa dernière chasse.

Gus était sorti à l’aube avec ses chiens pour marcher dans le matin fragile. Une heure plus tard, à un tournant de la route bordée de hauts peupliers, le paysage de son enfance apparut. Le faîte des grands arbres disparaissait dans le brouillard, des mats enfoncés dans la houle. Les labours en vagues noires luisaient de mille lames. C’est là, dans ce mirage de voilier perdu qu’il s’était souvent caché pour échapper à un père furieux ou, plus tard, au temps des fugues, à la police municipale, antique et pataude.

Il avait tiré trois cartouches, pour le principe, au hasard dans le ciel gris, ses chiens avaient cherché, fureté, tourné en rond dans les herbes du chemin et, bredouilles, jappaient la mine basse, tristes et honteux. Gus ressemblait à ses chiens. Lire la suite


Comme l’évolué face à l’indigène dans le vocabulaire colonial (ex Congo belge), l’éduqué est aujourd’hui une forme d’avatar de la classe moyenne sans mémoire historique ni point d’appui. C’est généralement le profil de celle ou celui qui parle d’intégration en vivant l’exécration. Lire la suite


L’écrivain ne savait plus qui, de lui ou de ce qu’il prétendait être, parlait, écrivait ses histoires. Il ne s’y retrouvait plus. Il confondait de plus en plus souvent la mort de ses personnages avec le temps qui prenait tant et tant de place en lui. Il avait peur, il remettait sans cesse sa vie au lendemain au nom de simagrées qu’on aimait le voir faire.

Un matin, il ne se leva plus. Le réveil sonnait, il le laissa faire sans étendre le bras pour l’arrêter. Il s’enfonça un peu plus sous la couette et frissonna. Des cauchemars l’avaient traversé toute la nuit, il était en nage. Il avait soif, terriblement soif, il ferma avec force ses paupières et attendit que le monde se passe, sans lui. Lire la suite