À jamais, Estelita, mi estrella, mon étoile dans le soir qui tombe sur les eaux troubles, chargées de sel, de sable mais aussi, Telita, des déchets du monde qui divague au loin et des rejets des navires qui voguent au large, des tempêtes, Lita, ou tout simplement du ressac des jours contre notre île, écoute-les, Estelle, battre les flancs du Malecón qui sombre, je sais, Lita, mais résiste, résiste, écoute, écoute, à jamais te dis-je, je poursuivrai la caresse des vagues sur les lèvres du temps, j’entends, de l’éternité, oui, à jamais, Estelia, jusqu’à la fin du monde et au bout de mes palabres vaines, de mes palabras répétées, je chercherai les mots, les mots Lita, qui diront le son et le sens d’une eau sauvage léchant, à l’image de cette île, les lèvres intimes d’une chair intacte…

… Va, va, stella maris, étoile de mer quand tu te couches sur le sable et que tes bras sombres se couvrent de grains clairs, ve, ve, muchacha, je sais, je sais, la route est chaque matin plus crevassée et les nids-de-poule sur le trottoir de plus en plus géants, de vrais abris pour coqs en pâte, des sinécures pour tous les profiteurs qui n’ont eu de cesse de sucer l’île comme une vieille canne à sucre, va, va, petite, balance-toi tout doux, d’un pied à l autre, oui, ainsi, Estrell’amie, navigue et emmène-moi, chaloupe déhanchée, entre les flaques, évite les crapauds qui y croupissent et chantent le début de la nuit, oui, ainsi, petite, ne force pas l’allure, hay quedar tiernpo al tiempo, il faut du temps pour trouver le temps, le Malecón est long et la promenade doit être lente, ma tendre Jane m’attendra, comme elle m’attend toujours quand je pars, et m’a toujours accueilli au retour de mes escapades et souvent de mes défaites, ve ve… Lire la suite


Entendez-vous la mer ?

Entends-tu la mer, Pierre ? Non, vraiment…

La sens-tu encore, Pierre ? Sens-tu encore les flots monter du sol, gonfler le plancher et le soulever ? Les vagues s’élever sur la scène et, là où elle finit, à l’extrême bord du monde, le battement du ressac ?

Pierre, où es-tu ? D’où viens-tu ? Que t’est-il arrivé ? Aurais-tu atteint la fin ? La fin du combat ? La fin du spectacle ? Lire la suite


À Benoît Verhaegen, cette fiction

Ils s’étaient donné rendez-vous « À la Mort Subite ».

Au téléphone, Pierre-Paolo avait dit :

— Vous savez, Bertrand, d’où ce café tient son nom ? J’ai longtemps cru qu’il y avait jadis une entreprise de pompes funèbres voisine. Mais ce n’est pas ça : la mort subite êtait, est peut-être toujours, une technique pour accélérer les parties de cartes. Les clients devaient y recourir avant de retourner précipitamment au boulot à midi ou le soir chez eux…

— Ça tombe bien, avait répondu Bertrand, nous n’aurons pas beaucoup de temps, nous non plus…

Bertrand avait été invité à intervenir à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer sur les atrocités dans le nord-est du Congo. Des femmes avaient été violées en public, des hommes avaient été forcés de pratiquer l’inceste sur leur mère ou leurs filles, des actes de cannibalisme avaient été recensés. Atrocités en Ituri, tentative d’explication. Au téléphone, quand Bertrand lui avait fait part du titre de sa communication, Pierre-Paolo avait pensé : Tentative d’expiation… Lire la suite


Jamais un écrivain véritable n’a eu pour fonction d’approuver le monde.

Guy Scarpetta, à propos de Thomas Bernhard, L’âge d’or du roman

L exil, le silence et la ruse… Vous connaissez, Monsieur, ces trois mots de Joyce, comme seules armes de l’artiste… Suis-je un artiste ? C’est le moment d’en juger. La prison peut-elle être un exil ? J’ai fini par le penser. Un exil intérieur au creux de la société, en son cœur corrompu, un trou par lequel, attaquée par la gangrène, sa gangrène, elle se viderait peu à peu… Le silence ? Oh ! Il m’a été prescrit, forcément… Mais surtout, je me le suis imposé, sans le savoir, comme une feuille blanche sur laquelle je réécrirais ma vie… Lire la suite