Le monde selon Bush plongerait-il ses racines dans l’école du dimanche des puritains ? S’échappèrent de ladite école, la veille de la guerre du Golfe, non pas la voix du Seigneur transformé en pitbull de la nation, mais, telles des relents de latrines, les mises en garde débiles – d’un manichéisme pour nourrissons attardés – d’un Bush senior, secondé par la fascinante Margaret Thatcher. À l’orgueil du puritain et à son respect du nanti, du puissamment nanti, répond la vulgarité de la clique politicienne. Mais ne blâmons pas excessivement la religion réformée. N’est-ce pas à elle, du moins en partie, que l’on doit la création la plus originale des États-Unis : le jazz noir qui puisa dans les chorales du temple ; ce jazz qui, par parenthèse, à Chicago comme à New York, fut financièrement appuyé par ces mécènes qu’une thèse universitaire récente a comparés à ceux de la Renaissance italienne : les gangsters. Lire la suite


Fait-elle l’objet d’un questionnement, la Flandre me remet en mémoire le principe d’incertitude de Heisenberg. En tant qu’observateur, toute réponse franche de ma part ne peut être que désespérément subjective. Réponse sujette à des remaniements constants, à des doutes relevant autant de la pathologie que du besoin éperdu de figer, au moins pour un instant, le flux qui nous entraîne. De toute façon, ma réponse recoupera ce que j’ai déjà écrit sur la Belgique

Seule caractéristique à mes yeux irréfutable : la Flandre m’est un fait accompli. Je réagis à son égard comme devant ma naissance – avec colère ou indifférence –, mais je ne discute ni l’une ni l’autre. Pour la plupart, elle est en majeure partie déterminée par la langue. Ce qui n’est pas mon cas, ou alors dans une moindre mesure. Notez que mon bilinguisme n’entre ici guère en ligne de compte, bien que je lui doive une chose essentielle : lire dans l’original les poésies de Leopold. Lire la suite


En 1898, en Herzégovine, une part de ce qui tiendra dans le bagage intellectuel de l’homme du XXe siècle naîtra d’une défaillance de la mémoire -, de l’oubli d’un nom. Et cet oubli, déclencheur infinitésimal, aura la puissance des énergies que peut libérer l’atome. C’est au cours d’une randonnée avec le docteur Freyhauss, que Freud, évoquant l’émotion qu’il a ressentie devant Le jugement dernier de Signorelli, à Orvieto, s’aperçoit que le nom de ce peintre lui échappe. Il en va de même chez son compagnon. De la fréquence de ce phénomène, Lacan conclura que « l’oubli est contagieux ». Et Freud d’entreprendre au pied levé l’analyse de ce blanc. Il mettra au jour des strates encore ignorées, des associations où se répondent lapsus et mots en langue étrangère, des images virant au symbole, des télescopages entre hier et aujourd’hui, le tout commandé par un déterminisme qui, si hypothétique qu’il semblera aux futurs détracteurs, offre néanmoins une résistance tenace à la critique. Se constitue ainsi le kaléidoscope conflictuel d’un patient ; patient aussi changeant que le corpuscule que soumet au principe d’incertitude la présence d’un observateur. Débutent alors ces nouvelles Mille et Une nuits, tentative de reconstituer le dédale de notre Bagdad intérieur -, et cela deviendra la Psychopathologie de la vie quotidienne qui verra le jour en 1901. Lire la suite


Le troisième millénaire est un texte. De même, prophétisés ou ébauchés par l’impatience fabulatrice, les siècles qui lui succéderont. Et pas seulement un texte, mais aussi une période de l’histoire relevant de l’imagerie. Quand j’étais écolier, état que je jugeais traumatisant, l’an 2000 était synonyme de futur. C’était le seuil à franchir pour atteindre ce temps-là que ne restreint aucune limite chronologique. Y crépitaient les escarmouches de Flash Gordon et des milices de l’empereur Ming ; y menaçaient de leurs faisceaux annihilateurs, mis au point par H. G. Wells, les envahisseurs venus de la planète rouge ; vous y relançaient les évadés de l’an 4000 du négligé Jacques Spitz ; vous incitaient à des rêveries éclatées les illustrateurs de Jules Verne, et Jules Verne lui-même qui vous bouclait dans un cocon de métal destiné à notre satellite. Mais le plus déconcertant voyageur de l’espace, n’était-ce point, se déplaçant grâce à son corps astral, ce terrestre conquérant de Mars dont le père, Edgar Rice Burroughs, avait également Tarzan pour rejeton ? Rappelons qu’en ces années 30, alors que le nazisme lézardait l’Europe, le fabricant de jouets Märklin lançait les vaisseaux spatiaux de Buck Rogers, accroissant ainsi notre imaginaire spatial. Donc, excepté le texte, l’image et l’objet – rien, si ce n’est l’horizon tout proche de notre aujourd’hui. Lire la suite


Les applaudissements ne s’étaient pas encore tus que je descendis l’escalier menant au deuxième balcon. Un juin de garrigue y transformait les dames du vestiaire en figurantes sans emploi. Leur regard privé d’objet m’apprit que j’étais devenu invisible. Tout à coup des loges se libérèrent, et je sus qu’en bas je n’éviterais pas la foule. Ce que j’appréhendais ? Qu’on me saisisse le bras, fasse retentir mon nom sous les caissons dorés et les cartouches historiés de bacchantes. Or, le récital s’étant terminé tôt, il me serait encore loisible de gagner le coude du fleuve en aval. J’y ferais, parmi les grues qu’on destine à la casse et sous les marquises de verre fêlé des anciens comptoirs Urbach, le point d’une journée réclamant une mise au net. Trop de détails irremplaçables, de perceptions abruptes, de foucades trahissant l’inconnu qu’on abrite en soi – sans omettre l’amie perdue et retrouvée, dont la réapparition, cet après-midi, devait être revécue au ralenti – risquaient sinon de s’émousser. En revanche, si mon essai de clarification, encouragé par l’isolement de ces vestiges portuaires, s’avérait satisfaisant, la journée écoulée pourrait revêtir l’ampleur d’une saison, d’un texte aux épisodes maîtrisés. À condition toutefois que l’à-quoi-bon, le « démon de mon cœur », n’entamât point mon intention comme il en avait l’habitude. Quoi qu’il en soit, il me faudrait patienter au moins un an, ou plus, pour que m’échoie une manne aussi substantielle, les autres journées succombant toutes à l’uniformité pour sortir d’une identique matrice. Lire la suite