« On était pour lors au mois des blés mûrs, l’air était pesant, le vent tiède… »

Je me blottis contre les créneaux de la Tour de Damme, referme mon Ulenspiegel mais m’attarde sur la couverture d’Olivier Deprez, voyage vers Masereel et ses gravures. Je me redresse, embrasse les paysages déployés à perte de vue au bas de l’édifice moyenâgeux. Prairies et moutons, champs et canaux, l’hôtel de ville et son bulbe, les maisonnettes immaculées et les pavés… Lire la suite



Jamais, jamais, jamais, et je les aurai pourtant entendues leurs critiques et leurs objections, allant parfois jusqu’à les comprendre, et de loin en loin à en admettre d’aucunes – oui, mes parents étaient des personnes médiatisées et expertes, oui, il m’est arrivé souvent de les écouter ou de rencontrer des sommités scientifiques grâce à leur entremise, oui, un activiste s’est attaché très rapidement à mes pas et m’a projetée sur le devant de la scène, oui, j’ai radicalisé ma démarche et crié mon hostilité et mon impatience plutôt que de quémander poliment une écoute, oui, et blablabla –, jamais je ne céderai à leurs injonctions, à leurs menaces et, je n’en doute plus désormais, à l’issue fatale qui m’attend, qui m’attendait, car ce discours que vous écoutez, si vous l’écoutez, signifie que je ne suis plus de ce monde, de votre monde, ce monde qu’il vous faudra défendre et sauver contre la prédation, cette prédation humaine qui a défini notre ADN depuis des milliers d’années, depuis le passage à l’agriculture, la soumission au blé, disait un expert, cette prédation qu’il vous revient d’expurger donc de notre essence pour en élaborer une autre, en harmonie avec la Terre, ce qui n’a rien d’impossible vu qu’il s’agirait, qu’il s’agit de renouer avec l’essence primordiale, celle dont toutes les autres espèces animales nous offrent quotidiennement l’exemple, celle dont il est fait écho dans la Genèse – et on applaudira à l’infini cette lucidité prospective ahurissante de nos ancêtres si lointains, ils avaient défini la Faute, la Chute comme cet écart hors du chemin de l’adéquation au Grand Tout –, non, non, non, jamais je ne céderai, jamais je ne proclamerai ces mensonges qu’ils tenteront de m’arracher – un assujettissement aux lobbies verts… ou m’inventeront-ils un passé criminel, des amours interdites ? –, et ils m’enlèveront, ils me tortureront – jusqu’où iront-ils ? – et, si, recourant à Dieu sait quel subterfuge, ils y parvenaient quand même, si je me décevais – je ne suis qu’humaine –, vous n’y accorderez pas la moindre importance, vous vous référerez ad vitam à ce message enregistré que je vous lègue, vous vous souviendrez de mon épopée, celle d’une petite fille atteinte du syndrome d’Asperger qui ne demandait qu’à profiter de la vie et du monde, de ses beautés, naturelles ou artistiques, une petite fille, mieux préparée peut-être ou mieux entourée, retournant son handicap en force, dans une ordalie à la Œdipe – ce qui ne te tue pas te rend plus fort ! –, mais une petite fille, rien que cela, qui a senti au plus profond de son être qu’elle n’était qu’un fragment d’un Grand Tout, que ce Grand Tout était agressé et lui demandait de ne pas subir mais de réagir, d’apporter son obole, vous garderez tous à tout jamais mon image d’adolescente esseulée devant le Parlement du pays, sacrifiant ses journées d’école et d’avenir, ma pancarte à mes côtés et mon refus, ma résistance, puis cette seconde image, par-delà la croisade, qui n’a pas à être décortiquée en ses mille aspects, comme mai 68 ou 1789 – car tout acquis se fait hélas à travers un collatéral, Muhammad a réussi à aller plus loin plus vite en transcendant les mots par des actes, en désignant l’ennemi, l’hypocrite, et ne me dites pas Gandhi ou Mandela, leurs réussites contrebalancent mille trajectoires en échec –, cette seconde image où je suis submergée par votre force et ce destin que vous incarnez, ce Grand Basculement que vous initiez, vous mutant tous et toutes en une nouvelle vague de Justes, dont les noms, un jour, seront apposés sur les murs des cités, au sortir de ce Parlement où un gouvernement s’effondre, où un autre instaure la présence de policiers européens sur tous les navires croisant en nos eaux, aux frais des compagnies de navigation, la disparition des paquebots de la honte en Méditerranée, la mise en coupe réglée des déplacements de nos dirigeants, etc. etc. et ce ne sont que des prémices, d’un Printemps dont je ne verrai pas l’éclosion estivale, mais je ne pleure pas, je suis heureuse, toute vie est si courte et galope vers son terme, il importe avant tout de se conformer à un sens, un idéal, d’être au monde et j’y serai parvenue grâce à vous, je survivrai en vous, vous êtes moi et je suis vous, je veux abandonner mon individualité et me fondre dans ce qui m’est cher, le Grand Tout, ma communauté, mais, avant, je redresse la tête une dernière fois et fixe la Prédation immonde de tout mon mépris, de ma haine même, je songe à Jésus face aux marchands du Temple, il renverse les tables, bouleverse les échoppes, là était la voie et ne jamais donner de perles aux pourceaux, non, je fixe la Prédation au cœur de son néant, elle tremble et vacille, nécessairement, elle se lamente au creux de ses illusions, de son désamour du monde et de soi, qu’elle a transformé en guerre haineuse contre le Vivant, je fixe la Prédation, fière de mon souffle, de cette phrase unique qui me survivra, unique pour imprimer l’unicité et l’ambition, je la fixe, malgré la lame ou la balle qui me désirent, et je crie de toutes mes forces : je m’appelle Greta Thunberg et je vous emm… ! 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Après une tranche de vie 7h-15h dévolue quotidiennement à la création solitaire, Frédéric, la quarantaine confortable, traverse la rue, gagne son deuxième bureau et ce job étudiant prolongé, un coup de foudre pour un microcosme et des horaires, s’immerge dans la matière humaine.

Vers 15h30, il monte l’allée en zigzag qui mène au bâtiment scolaire centenaire lové dans l’angle d’un plateau arboré. Avec plaisir, toujours. Ah, il aperçoit Juliette, la douzaine d’années blonde et azur, et son père, une sorte de hippie BCBG descendant le pan supérieur du Z. Lire la suite


À Arnaud de la Croix

Phil : HALLYDAY MANIA, STOP !

Amaury : Tu vas te faire lyncher ! Même notre philosophe Daniel Salvatore Schiffer s’y est mis, dans Le Club de Mediapart : « Samedi, 9 décembre 2017, midi. La France s’apprête à rendre un hommage populaire, des Champs-Élysées à l’église de la Madeleine, à Johnny Hallyday, disparu à l’âge de 74 ans, emporté par un incurable cancer des poumons, trois jours plus tôt, dans la nuit du 5 au 6 décembre. » Lire la suite


Le détecteur ne m’a pas trompé. Le buste incliné vers l’extérieur, je distingue, entre les jalousies, l’essaim qui tourbillonne par-dessus ma longère normande. Après les drones…

« C’est fini, me dis-je à voix haute, j’aurai tenu dix ans. »

Dix ans. Une vie ! Car oui, tel un chat, dont j’avais le ronronnement et le coup de griffe, j’aurai eu plusieurs vies. Combien ? N’avais-je pas droit à sept vies ?

Je parle au passé. Oubliant mes devises et mon volontarisme. Ne sois pas, deviens. Sois toujours demain plus que ce que tu es aujourd’hui, qui est plus que ce que tu étais hier. Lire la suite


« Vous devez apprendre le peuple, mon jeune ami ! Savoir percevoir ses attentes, ses émotions, pouvoir lui parler, le toucher, l’emporter jusqu’au fond de votre poche ! »

Les mots de Louis-Ferdinand Sauveur carillonnent dans mon crâne à m’en éclater les tympans au moment où la foule me comprime, où je glisse sur le sol au milieu des youyous, encaisse un coup de coude en pleine mâchoire, me relève, me heurte à un buste qui passe et m’expulse. Lire la suite


J’ai quitté le Oud Gemeentehuis et me fige devant l’église Saint-Quentin, dévalant le clocher au milieu d’un essaim de corbeaux, me diluant parmi les tombes moussues du vieux cimetière, enjambant son muret circulaire d’un œil enamouré. Je pivote. Les murs blancs chaulés, les clins de bois vert ou noir. La silhouette massive du moulin aussi, à un saut de mouton de la place du village.

C’est cela, c’est exactement cela, me dis-je en savourant la douceur de l’air. Lire la suite


 

La silhouette, puissante et svelte, s’est faufilée à travers la haie qui sépare les deux propriétés, elle rampe en paracommando sur le gazon en pente, traverse les pas japonais qui mènent à une aire dallée, se redresse lentement, prudemment, en s’abritant derrière le mur de la villa.

À l’intérieur, un jeune homme d’une vingtaine d’années lit assis sur le parquet, les jambes croisées. Soudain, son corps se raidit, une sueur glacée le tétanise, il se jette en boule sous le lit, attend, écoute. Le choc, à nouveau. Si proche. Sec. Répété. On frappe à la fenêtre. Sami lève la tête. Un buste apparaît derrière l’encadrement. Qui lui sourit. Un peu cruellement. Il le reconnaît. Nizar ! Un camarade du Centre. Un type d’Alep. Comme lui.

Sami ouvre la porte. Lire la suite