Rose-Marie François

Une Europe cinq étoiles

Message trouvé dans une bouteille au Bordelamer,

dimanche dernier en sortant de la messe

à la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Douleurs.

J’étais Allemande, on m’a dit que j’étais Juive.

J’ai fui en France, j’ai valsé au Vél’ d’Hiv.

J’ai voyagé, j’ai pris le train pour Auschwitz.

Je n’ai rien pris, c’est le train qui m’a prise. Lire la suite


— Ce petit garçon mort sur la plage, c’était si touchant, j’en pleure encore ! Pas vous, Paul-Jean ?

Sophie-Anne renifla en essuyant une larme. La quarantaine chic, fraîchement séparée, elle dégageait un certain charme se dit Paul-Jean. Depuis les longues années qu’ils se connaissaient, c’était la première fois qu’il considérait son amie de toujours comme une femme désirable. Continueraient-ils à se vouvoyer même en baisant, si jamais cela devait arriver ? Il posa une main légère sur celle de Sophie-Anne.

— Vous êtes d’une sensiblerie ! Soyons rationnels. Dans une situation aussi surréaliste que celle que nous vivons, devant le flot humain qui envahit l’Europe, ne nous laissons pas entraîner par des émotions dictées par les médias. Parlons plutôt de quotas, de dispatching, de couloirs sanitaires, de frontières, d’encadrement. L’Europe n’est pas un dépotoir ! Moi qui suis chef d’entreprise, je peux vous certifier que sans solution structurelle radicale pour endiguer la marée des migrants, nous sommes cuits et archi-cuits !

— Ce pauvre petit ange ! Allongé, immobile, le corps léché par les vagues, déposé sur le sable comme par une main bienveillante. J’ai imprimé et encadré sa photo pour ne jamais l’oublier. Qu’y a-t-il encore, Thérèse ? Lire la suite


Mark n’était pas frileux. Il restait en chemise par tous les temps. Sa corpulence lui tenait lieu de combinaison polaire. Un nutritionniste aurait dit qu’il portait vingt kilos de trop. Ce n’était pourtant pas ce qui frappait le plus ceux qui le croisaient, mais au contraire sa légèreté d’allure. Il avait une démarche souple, dansante, en mouvement perpétuel. Il était le plus vif des gros blonds.

Sa concierge savait qu’il était dans l’international. Sa petite amie (un mot qui allait mal à cette grande femme élégante et brusque), aimait dire qu’il passait quatre heures tous les soirs sur son écran, à manier des chiffres : mais elle ne le voyait pas pendant la journée et ne connaissait qu’un pan de sa vie. On pouvait se douter qu’il brassait beaucoup d’affaires virtuelles. Quelles affaires ? C’était difficile à deviner. Parfois, dans son fauteuil ou dans l’ascenseur, une idée le prenait et il devenait sombre. Ou il recevait entre deux portes un appel téléphonique auquel il répondait, par monosyllabes, en anglais, avec des haussements d’épaules enthousiastes ou désespérés. La concierge pensait qu’il était trader, mais elle ne savait pas vraiment ce que trader voulait dire. La petite amie avait des intuitions d’amoureuse ; elle parlait à son propos d’import-­export. Mais qu’aurait-il pu importer, exporter, avec ses mains si blanches qu’elles n’étaient pas des mains ? Lire la suite


Heureuse Europe, fière de ses accomplissements. Vous vous êtes rassemblée, trop soucieuse d’abolir les conflits qui vous avaient tant tourmentée. Vous vous êtes dotée de ces institutions que les hommes ont conçues pour formaliser les différends, atténuer les différences, rassembler les énergies pour mieux marcher de front.

Vous avez, peu à peu, aggloméré les bonnes volontés et même converti les brebis égarées, ou plutôt confisquées par l’ours tyrannique qui avait, il est vrai, contribué à éliminer les loups qui vous avaient terrorisée. Vous ne cessiez d’afficher votre volonté de serrer les rangs, de justifier votre étendard étoilé et l’hymne à la joie choisi comme chant de ralliement. Pourquoi s’étonner que vous suscitiez les envies, les appétits, les ambitions ? Lire la suite