La beauté se cache dans les interstices de la vie. Dans les brèches, dans les failles du temps humain. On la déniche parfois dans l’amour, parfois dans le plaisir, parfois dans la nature, parfois dans le rêve. Elle peut surgir d’un simple regard. Lire la suite


Il est inutile de parler de Greta Thunberg comme si c’était une personne de notre connaissance, la fille de nos voisins, une relation avec qui nous serions susceptibles de passer des vacances et qui nous les gâcherait. Bien entendu elle n’est pas aimable. Bien entendu, sauf curiosité mondaine, on chercherait plutôt à ne pas tomber sous sa coupe d’enfant terrible. Mais en vérité ses traits de caractère ne sont pas la question principale. Y a-t-il un péril environnemental majeur ? Est-il pris en charge de manière crédible par l’économie mondiale ? S’il y a mieux à faire que sermonner les adultes, où sont les traces de cette action supérieure ? Lire la suite



Quand même, revenir dans cette ville, après si longtemps, c’était une épreuve. Retrouver à peu près intactes les rues, les façades, les averses, les rames de métro, les rives du canal, les voix enrhumées, montrait bien que le temps ne passe pas, qu’il ne veut pas passer. Il aurait fallu pour échapper à l’éternel présent bien plus que vingt-cinq ans d’absence : un véhicule spatio-temporel. Lire la suite


Le cahier

Parce qu’elle avait les joues creuses, parce qu’elle était pleine de silences et d’arrière-pensées, elle ranimait ma curiosité romanesque toujours à l’affût, et je multipliais les ruses pour rester un moment seul chez elle, tandis qu’elle vaquait dans son cabinet d’aide sociale. Ainsi j’allais d’une pièce à l’autre sur la pointe des pieds, au passage frôlant des tiroirs enfoncés à bloc. Lire la suite


Toute une vie comme une balle dans la tête. Tout un roman comprimé en quelques images.

On m’avait prévenu à la dernière minute. J’avais dit oui bien sûr. C’était un honneur d’être invité. Mais c’était aussi une angoisse terrible. J’éprouvais une immense pitié en m’y rendant.

Ma connaissance de la Rome de Néron, de l’Allemagne d’Hitler, était suffisante pour que j’aie déjà entendu parler de telles fêtes d’adieu. Mais c’était une autre chose d’y être convié. J’avais peur à l’avance de ce qui m’attendait, dans la vieille maison où j’étais venu si souvent. Est-ce que je serais à la hauteur ? Est-ce que je pourrais garder jusqu’au bout un sourire rassurant ? Mon tempérament me poussait toujours à nier la menace de la mort chez les autres, à les tromper jusqu’au bout. J’allais devoir m’adapter. Lire la suite


Mark n’était pas frileux. Il restait en chemise par tous les temps. Sa corpulence lui tenait lieu de combinaison polaire. Un nutritionniste aurait dit qu’il portait vingt kilos de trop. Ce n’était pourtant pas ce qui frappait le plus ceux qui le croisaient, mais au contraire sa légèreté d’allure. Il avait une démarche souple, dansante, en mouvement perpétuel. Il était le plus vif des gros blonds.

Sa concierge savait qu’il était dans l’international. Sa petite amie (un mot qui allait mal à cette grande femme élégante et brusque), aimait dire qu’il passait quatre heures tous les soirs sur son écran, à manier des chiffres : mais elle ne le voyait pas pendant la journée et ne connaissait qu’un pan de sa vie. On pouvait se douter qu’il brassait beaucoup d’affaires virtuelles. Quelles affaires ? C’était difficile à deviner. Parfois, dans son fauteuil ou dans l’ascenseur, une idée le prenait et il devenait sombre. Ou il recevait entre deux portes un appel téléphonique auquel il répondait, par monosyllabes, en anglais, avec des haussements d’épaules enthousiastes ou désespérés. La concierge pensait qu’il était trader, mais elle ne savait pas vraiment ce que trader voulait dire. La petite amie avait des intuitions d’amoureuse ; elle parlait à son propos d’import-­export. Mais qu’aurait-il pu importer, exporter, avec ses mains si blanches qu’elles n’étaient pas des mains ? Lire la suite


Après son accident d’avion, mon père renonça d’un seul coup au plaisir d’exister. Il s’enfonça dans le travail, lui qui avait mené jusque-là sa carrière de comptable sans souci de perfection. Il rapportait des dossiers à la maison, sautait les repas, grommelait interminablement au téléphone. Il faisait son nœud de cravate plus mal que jamais, et son gilet en tricot vert avait des taches sur le devant. Par ce laisser-aller, il voulait montrer qu’il avait renoncé aux vanités du monde : il en avait simplement adopté de nouvelles. Lire la suite


Je me souviens de ton Ukraine dont j’ai aimé la reine et les chansons sourdes, dans la vitesse du soir. Je me souviens du jour où j’ai lâché prise, où j’ai lâché le filin du bonheur.

J’avais une montre radioactive, elle est en panne. Jadis j’ai su courir sur les faîtes ; j’ai souvent volé dans les jardins. J’ai vu briller des couteaux.

Adieu. Lire la suite


Pour Alain Dartevelle, l’explorateur

1.

La ruine du monde a fait sortir l’or de ses alvéoles. Il est vivant, il danse dans les cercles intérieurs et les grands serviteurs du soleil, la tête encapuchonnée, les vêtements desserrés et coulants, battent des mains pour lui garder le rythme. Ils sont au comble de la joie, ils hurlent en musique, ils croquent des glaces en diamant. Lire la suite