Quand le prof avait dit ça, j’avais tout de suite tourné la tête vers Mathieu. Et toute la classe nous avait regardés, Mathieu et moi. On était assis au premier rang, mais je sentais leur regard dans mon dos. « C’est l’amour qui fait tourner le monde », avait dit le prof Ma première réaction, que j’ai gardée pour moi-même, fut de penser que les sujets de dissertation qu’on donnait aux élèves de rhétorique étaient de plus en plus débiles. Mathieu, lui, ne put s’empêcher de formuler ses réflexions personnelles à voix haute.

« Non, Monsieur, c’est la peur qui fait tourner le monde !

— Eh bien, Mathieu, tu nous argumenteras cette opinion en six pages. » Lire la suite


Chaque matin, c’était la voix de Sophie Brems annonçant « Il est sept heures. » qui la réveillait. Ensuite Africa Gordillo présentait les nouvelles du jour, pendant qu’elle s’étirait sous la couette. Décoller ses paupières n’était pas tous les jours une mince affaire. Il aurait fallu une machine à café qui s’enclenche automatiquement à six heures cinquante-cinq ou, mieux, un homme déjà debout qui préparerait le café. Sarah restait partagée, à propos des hommes et des machines. Très souvent, elle pensait que les premiers valaient mieux que les secondes. Mais très souvent aussi, elle se mettait à croire l’inverse. Jusqu’à ce que son ordinateur plante. Ou jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse.

Pour l’instant, elle avait retrouvé confiance en l’humanité. Ce qui lui donnait une bonne raison de faire un petit effort pour repousser l’édredon jusqu’à ce qu’il tombe au sol et que le froid l’arrache à son lit. Voilà. Elle était debout. Malgré le froid, elle ne put s’empêcher de faire un détour par le séjour avant d’aller se réchauffer sous la douche. Lire la suite


Whoever is around

Whoever’s in my head

Whoever you are now, I like you

I know you like my true thoughts

I love you like my best thoughts

I just dont know which one I know

I like the one who likes me too

Lisa Germano, Beautiful schizophrenic

La nature avait doté Daniel de magnifiques yeux pers qui, pour l’instant, étaient fixés sur un invisible horizon, bien au-delà des têtes des passants qui le croisaient. C’étaient des yeux de conquérant, de ces yeux qui semblaient voir loin, qui perçaient tout, qu’on aurait presque craint de rencontrer au détour d’un regard, de peur de se retrouver foudroyé sur le coup ou, à tout le moins, de se sentir fondre. Il maîtrisait l’art du plissement de paupières qui tue, du rapide changement de focalisation, de l’écarquillement appréciateur ; bref, rien qu’avec ses yeux, il avait de quoi séduire. Avec le reste aussi, d’ailleurs. Lire la suite



Il faudra faire vite, non, lentement, ou plutôt, en quelques secondes, mais en étirant ces secondes. Oui, vite et lentement, en détournant le temps, en le prenant tout simplement. Au lieu de le laisser nous porter, nous entraîner, au lieu de le subir. Ne pas être pris par le temps, mais s’y prendre. Voire s’y laisser prendre. Mais que cela pane de nous, que cela soit une volonté, même s’il en résulte quelque chose qui ressemble à un abandon. La confiance est un abandon, elle est pourtant une victoire aussi, sur l’incertitude. L’incertitude qu’on ne peut éradiquer, abolir. Voilà. La fatigue aussi, on ne peut la vaincre qu’en y cédant. Il faut laisser l’ennemi entrer en ses terres pour mieux pouvoir l’assaillir.

Mais il n’est pas question d’ennemi. Que d’un demi-ennemi. Si on aime la vie, on a plein de demi-ennemis. Par exemple, le désir, ou le trouble. Et la fatigue, et le doute. Ce sont des ennemis pour jouer. Je ne veux pas dire des ennemis pour du beurre, « on disait que » c’était un ennemi. Mais des ennemis avec lesquels le combat se rapproche plus de l’ébat, prend des accents érotiques. Lire la suite


I’ll let you see me

I’ll covet your regard

I’ll invade your demeanor

And you’ll yield to me

Like a scent in the breeze

And you’ll wonder what it is about me

Fiona Apple, Slow like honey

J’étais en train de parcourir la liste des enfants inscrits pour le camp, le jour du départ. Il faisait plein soleil sur la place où attendait le car et Marine, à côté de moi, était déjà occupée à accueillir les premiers arrivants.

— Putain, c’est quoi pour un prénom, ça, Inouance ! m’exclamai-je à son adresse. Y a des parents qui sont dingues, pour donner un nom pareil à leur gosse. Tu t’imagines ? Inouance, quoi, j’ai jamais entendu ça !

— Tu peux parler, avec ton prénom à toi. C’est pas courant non plus, Dorsan. Lire la suite


I turn my face to

From wherever the wind blows

Is it worth so much to try ?

Stina Nordenstam, Fireworks.

Un assemblage de triangles bleus et rouges, se découpant sur le ciel d’été : c’était tout ce que Jean-Louis voulait voir en ce moment. Cette restriction volontaire de son champ de vision était censée le distraire, mais à présent il lui apparaissait qu’il avait été bien naïf d’espérer oublier quoi que ce soit en se concentrant sur le ballet solitaire d’un cerf-volant. Ce foutu module de toile tendue n’avait réussi qu’à lui rappeler que bien des choses ne tiennent qu’à un fil. Lire la suite