Lorsqu’elle marche et se peigne, lorsqu’elle jette un regard sournois au miroir, qu’elle arpente un pays, une parcelle, un mini territoire, un jardin, une cour, un salon, une salle d’eau : elle existe.

Lorsqu’elle mange et boit, que sans honte ni regret elle abandonne ses déchets, elle existe.

Lorsqu’elle reste bêtement là, dans l’existence et dans l’attente, et qu’en retour les mots de l’autre heurtent ses oreilles, elle ne sort pas de l’existence mais n’attend plus. Elle s’en va, n’importe où, au loin, tout au fond d’elle où elle espère trouver ce qu’elle ne trouve jamais. Lire la suite



Depuis des mois on patiente, on guette, on suppute. Comme tout le monde, la bécasse attend. Pour un peu, pense-t-elle (elle a presque honte de cette pensée), on espérerait que ça vienne à la fin, c’est trop dur d’imaginer les bombes, les microbes, les scuds, les lambeaux de peau qui flottent aux branches des arbres calcinés ; les hurlements des blessés sous les sifflements des sirènes et le tonnerre des mitrailles, on n’en peut plus, c’est comme si la guerre était déjà là, comme si on la vivait, comme si elle avait déjà eu lieu. Et quand elle aura lieu, elle n’aura plus la moindre importance, une sorte de réplique de la guerre du Golfe, un non-événement. Par contre, l’imaginaire en ébullition, les nerfs à vif devant cet interminable sursis, cette guerre suspendue, ces va-et-vient de diplomates, d’inspecteurs, de journalistes, de photographes, de commentateurs qui se mêlent à la foule de Bagdad, qui écoutent les conversations, tentent de percer le secret de ce peuple fier, imprenable, que galvanise le dictateur, tout ce virtuel, oui, l’événement ne sera pas la guerre à l’Irak, il est dans cette attente interminable, ici, maintenant. Lire la suite


C’est le mois d’août, la Belgique est en vacances, mais il faut remplir les pages des journaux.

Le Sacré peuple demande à la bécasse de prendre le pouls de la Flandre. Que peut-elle tirer de cette Flandre qui sans cesse la trahit ? À l’étroit entre les frontières de ce pays encore nommé Belgique, elle était plus à l’aise chez Poutine, même si elle a dû payer son audace de quelques mois de prison. Plus à son affaire lorsqu’elle grattait les débris du World Trade Center à la recherche des mots calcinés. Elle coïncidait alors avec un bout de l’Histoire, tout comme en Palestine bourrée de checkpoints, de soldats israéliens occupant villes et camps, détruisant, contrôlant, déportant vers Gaza les proches des kamikazes. En réponse à l’offre de paix unilatérale des Palestiniens, Israël bombarde Gaza. Conséquences : pour la forme, Bush reproche à Sharon d’avoir eu « la main lourde » et l’offre de paix unilatérale est passée sous silence à l’ONU. Sur cette terre de Palestine, ce territoire de scandale face à un monde muet, la bécasse a perdu ses dernières illusions : la politique n’a pas d’éthique.

Allez vous promener en Flandre et faites-nous un beau papier, lui a-t-on dit au Sacré peuple. Elle se promène donc, dans la campagne en bordure de mer, avec les nuages bas, le vent incessant, le soleil. « Promenade » certes, mais point comme celle qu’effectue le Vlaams Blok dans les communes de la périphérie de Bruxelles. Lire la suite


Que peut-elle faire sinon marcher de Jérusalem à Ramallah, de Ramallah à Bethléem, dans la poussière et les pierres de Palestine ? Passer de checkpoint, en checkpoint, de chemins en routes défoncées, devant des armes braquées sur elle comme des pointes de barbelés ?

Avant d’errer sur cette terre, pendant des mois, elle a regardé les télévisions du monde. Elle a vu Sharon, le faucon, marcher sur l’Esplanade des mosquées. Pourquoi justement là, au sein des mosquées ? Elle se glisse dans la peau de Sharon : il a de grands desseins pour son peuple, et ces desseins coïncident avec sa haine envers son ennemi personnel, le Palestinien Arafat. Qu’espère-t-il, le faucon ? Ce que, d’un pas lourd et déterminé, il vient provoquer : la seconde Intifada, les pierres des gamins palestiniens contre les chars israéliens. À la face du monde, Sharon ose se proclamer attaqué. Devant son gouvernement, devant l’Europe et l’Amérique, une mauvaise foi tranquille suintant de son visage, sa bouche annonce la défense active. Un an durant, c’est l’implantation frénétique de nouvelles colonies. Pour ce faire, on rase des maisons, on fait place nette. On tue. La population réagit par des manifestations, puis par des jets de pierres, la riposte des soldats israéliens est sauvage, brutale. Il reste aux Palestiniens une seule arme : leur vie. Que veut exactement Sharon ? La bécasse soupçonne la volonté d’exaspérer la population palestinienne, de la pousser à l’exode… la bécasse allume la télévision, regarde, se nourrit d’images et d’indignation, éteint. Tout en vaquant à ses occupations, elle rassemble ses idées : voyons voir, faisons le point : Lire la suite


Quel coup de jeunesse, il nous donne, le vieil Hugo ! En 1849, dans un éclat de rire général, il lance la formule des « États-Unis d’Europe ». Il n’a que faire du rire des imbéciles, il les retourne comme un gant, on l’applaudit. Je tiens à vous donner, à la fois, un concentré de son discours et l’atmosphère de la salle : Car Hugo et le frémissement du public ne font qu’un : le souffle inspiré, les cris, les rires, les applaudissements, cette vague d’excitation porte l’idée des États-Unis d’Europe jusqu’à nos pieds qu’elle couvre de son écume aux blanches mousselines (vocabulaire de Hugo).

Voici ce que ça donne : Lire la suite


Septembre 2001. L’économie mondiale vacille, le Nasdaq ne renaît pas de ses cendres, le journal belge Le Sacré Peuple envoie la bécasse à New York.

Elle est à la périphérie de Manhattan quand ça se passe. L’avion qui percute, le jet de fumée, la tour qui s’enflamme, des gens qui sautent des fenêtres, les ambulances. Elle court avec la foule, mais en sens inverse, elle est payée pour voir, décrire, donner un scoop, elle l’a le scoop, elle le pressent, elle court. Des gens tranquilles sortent de la tour, ça se passe à 400 m au-dessus d’eux, ils ont tout le temps, ça dure des minutes, une demi-heure, puis c’est l’autre impact, l’avion qui pénètre la deuxième tour, alors la foule crie, certains pleurent, d’autres bégaient des prières, tous lèvent la tête vers ces buildings qui grattent le ciel et flambent, tous implorent le Dieu du ciel, de la terre et de l’enfer, les pompiers montent chercher des blessés, des brûlés, des gens coincés, des gens qui téléphonent sur leur portable, qui disent des je t’aimerai toujours, des sanglots, la terreur au ventre, une multitude descend 74 étages, ça prend du temps, là-haut le feu calcine les poutres d’acier, et plus haut encore, dans les derniers étages, à 417 m du sol, devant le plus beau panorama du monde, les bureaucrates sans espoir sont coincés, sous leurs pieds le brasier. À une fenêtre, un homme agite sa chemise, il espère que là-bas, tout en bas quelqu’un va foncer pour le délivrer. Et la foule, tout en bas, pendant longtemps a vu cette chemise s’agiter tandis que le feu gagnait. Lire la suite


« Petite bécasse », disait sa mère, résistante, sous-lieutenant de l’Armée Secrète et Croix de guerre. Petite bécasse devenue grande rencontre sa mère morte dans l’effervescence qui secoue l’Europe de l’Est. Elle court le monde dans l’espoir insensé de comprendre le moteur de ce bouillonnement. Un peu de religieux, un peu d’ethnies, un peu de langues, une casserole en ébullition, les nationalismes tressautent, les frontières éclatent, la bécasse saute de pays en territoires, d’avions en taxis, pour s’affaler épuisée sur un banc, aux Champs-Élysées de Bucarest, plus larges que ceux de Paris. Mais on ne peut faire concurrence à Paris. Ceausescu n’en a pas eu le temps, ni le goût, trop occupé à construire ses palais. Ses Champs-Élysées sont vides. Lire la suite