Trop jeune pour avoir connu l’effondrement soviétique, la bécasse aurait été la première à crier sa joie, à se hisser sur le mur, à tenter de le démanteler… Bien des écrivains, qui ont eu cette opportunité, ont été trop paresseux pour se ruer sur cet événement qu’ils auraient vécu sur le vif. Ils se sont contentés d’ergoter, de palabrer, devant un verre de bière. La grande politique dans les bistrots. Bruissement des neurones comme vol d’abeilles autour d’une ruche. Pendant ce temps, avec pioches, marteaux, tournevis, les Berlinois cassaient le mur, tous ensemble, tous dans le matin frais, tous en sueur et presque en extase devant cette chose magnifique : participer à la grande Histoire, ouvrir le goulag à l’air pur de la liberté.

Par contre, la bécasse avait vécu dans sa chair le 11 septembre 2001, « septembre gong », comme l’avait baptisé son rédacteur en chef. Pilotés par des kamikazes talibans, deux avions percutent les tours jumelles du World Trade Center qui s’effondrent et changent les rapports de force dans le monde. Lire la suite


La obamamania atteint de plein fouet la bécasse. Elle aurait pu se contenter de vivre simplement, de vaquer à ses petites affaires, de temps à autre écrire un articulet selon la demande de son rédacteur en chef. Mais, dès la parution à la télévision de ce grand Noir dégingandé, élégant. (Attribué à Obama, dégingandé aussitôt se mue en élégance.) Dès sa parution donc, lors d’un meeting pour l’investiture du parti démocrate, ce grand Noir inconnu, mais si apaisant, si enthousiasmant, si calme de propos, si évident dans ses convictions, si sûr de son fait et de sa personne, si « indubitable » à cette heure de dégringolade et de déprime, qu’il avait crevé l’écran. Hillary Clinton en a même pleuré de dépit. Quant à John McCain, le héros de la guerre du Vietnam, il avait beau agiter ses bras, il n’avait pour atouts que d’être un héros de la guerre du Vietnam et sa couleur de peau.

Elle avait frappé à la porte de son rédacteur en chef. L’avait supplié de l’envoyer à Chicago interviewer le sénateur Obama. Il avait refusé net : trop cher. Et puis, avait-il ajouté conciliant, vous n’avez qu’à regarder les télévisions, vous avez assez d’imagination pour mettre du liant, colmater les vides… comme si vous y étiez… faire semblant que vous l’avez rencontré… les lecteurs n’y verront que du leu… La bécasse est écœurée, dans un reportage rien ne vaut le contact ! direct, l’écoute de la voix, capter les mille impondérables qui rôdent autour d’une personnalité. Elle avait eu cette chance avec Saddam Hussein, descendant des Perses, tenant tête à la horde des nouveaux Mongols déferlant des USA. Toi Bush, barbare inculte, fourrageur de poux. Elle en avait décousu avec celui-ci et son axe du bien, avait même éprouvé une certaine pitié envers Saddam Hussein, mort pour rien, pendu par la bêtise d’un seul homme, Bush. Lire la suite


Ravigotée, la bécasse s’extrait du divan. Devant elle, le psy se dresse muet comme un miroir. Pour un peu, elle le briserait. À l’intérieur de ses viscères gronde un orage de rancune, ah Monsieur le psy, vous avez voulu tout savoir de moi, sucer jusqu’à la moindre parcelle de mon âme, vous repaître de mes déchets, tel un vautour. Non Monsieur le Psy, vous ne m’aurez pas, je me suis reprise à temps. Si je suis déchirée en mes fibres belges les plus intimes, ce n’est pas vous qui allez m’en guérir. Ma guérison appartient au fauteur de mon trouble, de ma schizo, cet Yves Leterme détestable et détesté, mais qui s’amende ; mon avenir appartient à ce fat Didier Reynders, mais qui s’incline, à ce coquet di Rupo, mais qui parfois chante juste, à cette invraisemblable mais courageuse Joëlle Milquet et le groupe Octopus. Eux seuls ont le pouvoir de me rafistoler. Mais le veulent-ils ? Veulent-ils la gloire de la Belgique ou leur propre gloire ? Ah, si les sentiments ne venaient pas polluer l’homme quel bel avenir aurait la Belgique ! Lire la suite


La bécasse est contente. Les vacances en Turquie de son rédacteur en chef lui ont remis les idées en place et les deux pieds sur terre. Il a récolté quelques idées sur les séparatismes qui gangrènent la politique interne de la Turquie, quoique de jeunes Turcs et même de jeunes Kurdes eussent défilé avec des slogans contre le PKK : la nation est indivisible. Le rédacteur en chef du Sacré peuple a pensé à la Belgique en déliquescence, et dont il devine les frémissements d’une bouilloire sur le feu. Il s’est senti des devoirs. Il est rentré dans ce pays qui porte encore le nom Belgique mais dont le souhait semble de se scinder : scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, scission de la sécu, autonomie de la Flandre. Lire la suite


La bécasse est de mauvaise humeur. Ça lui arrive quand, justement, rien n’arrive dans sa vie. Ni de l’extérieur ni en son particulier. Apparemment, rien n’intéresse non plus son rédacteur en chef qui a proposé à ses journalistes un concours de nouvelles sur le chiffre 7. Tourner 7 fois la langue dans la bouche… les 7 merveilles du monde… les 7 péchés capitaux…

Ceux-ci méritent qu’on s’y attarde : paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère, envie. La bécasse s’y attarde donc. La gourmandise, l’orgueil et son avatar l’arrogance donneraient le ton de la Flandre. La paresse serait celui de la Wallonie, du moins aux yeux des Flamands. Voilà que la foutue Belgique me hante encore, pense la bécasse alors que tournicoter autour du défendu apporte des pensées plus voluptueuses. Elle rêve un instant à ces péchés si tentants dont le plus joli est la luxure avec son démon Asmodée, et le plus bête la jalousie, le seul qui ne fait pas plaisir. Lire la suite


D’un pas décidé, la bécasse pénètre dans l’auguste maison. Elle s’y sent à l’aise, son argent est là. Pas grand-chose, il est vrai, mais là où est l’argent, là est la sécurité et, paraît-il, un certain bonheur.

Mais elle est furieuse. Le compte des Amis du Sacré Peuple a été bloqué. Certes, elle avait bien reçu un long questionnaire sur la nature de son association, certes, elle avait négligé d’y répondre, n’empêche, elle a tempêté au téléphone. On l’a convoquée. Elle a rendez-vous avec le directeur. Il dit assoyez-vous. Elle dit, je vous écoute. Il dit :

— Nous vous avons envoyé un questionnaire en rapport avec votre association. Lire la suite


Prise dedans. Empêtrée. Ses pattes désespérées agrippent les milliards de fils de la vierge qui scintillent au printemps. Qui tentent. Qui engluent les mouches folles que sont les surfeurs. Où est l’araignée ? Elle est là, tapie dans l’interstellaire des canaux. Dans le bruit des conversations du vecteur Skype et des musiques diffusées par les iTunes. Dans le frais, le léger, le charmant, l’allegro de la sonate spring de Beethoven, dans la divine ivresse de la sonate à Kreutzer. Dans les déflagrations, les fracas, dissimulée au cœur de l’infernal tapage humain. Vide de silence.

Dans leur chambre, les écrivains, qui ignorent le computer, ont une plume à la main. Certes, le cerveau dirige la main ; certes, le cerveau agence les mots ; certes, la quintessence d’un ressenti, la fulgurance d’une pensée tombent sur le papier. Mais surtout, l’écrivain a mal à son moi. Il le dorlote, le panse, le nourrit, prêt à toutes les trahisons pour le sauver. Le monde capté sert à gonfler son moi exacerbé. Une plume à la main, l’écrivain pousse devant lui la monstrueuse montgolfière de son narcissisme, comme un ventre. Lire la suite


Comment élaborer un papier avec un titre aussi barbare qui mêle à la fois la rusticité de Rembrandt et la légèreté de Mozart ? La bécasse se place juste entre Mobrandt et Remzart, elle examine, retourne, décortique, dissyllabe, et dérape vers Isabelle Brandt, épouse de Rubens qui lui non plus n’a rien à voir avec Mozart. Les chairs grasses, ces bourrelets de ces belles au bain, ou enlevées par des Minotaures, quoi de commun avec l’évanescence de Mozart, ses perles du son qui charment à la fois l’ouïe et l’imaginaire ? Rubens, il est vrai, a peint avec délicatesse Les trois Grâces ; mais, s’il a régné par les couleurs, comme Rembrandt par la lumière, pas question pour la bécasse de folâtrer parmi la palette des peintres. Pas d’études picturales comparatives. Pas de dissertation hors sujet. S’en tenir à Mozart et Rembrandt, le musicien et le peintre. Malgré qu’Isabelle Brandt gémisse dans le titre, elle se doit de l’évacuer. Lire la suite


Par je ne sais quelle perversion du destin il m’arrive de ressentir pour Jojo l’attrait sublime qu’Humbert Humbert éprouvait pour moi, Lolita. Quand je le vois s’ébattre sur la plage parmi ses cousins et cousines, fades et presque nuis face à sa splendeur, quand je m’allonge et bois entre mes cils le ciel et ouvre mes oreilles aux cris si diversifiés et à la fois si pareils d’année en année des enfants sur une plage, j’attends le moment inoubliable où, sortant de l’eau, s’ébrouant, Jojo passe en courant près de moi m’éclaboussant de sable et de rire. À travers mes cils, ses petites dents, sa tignasse plaquée d’eau salée, le doré de sa peau, le duvet de ses cuisses, fugitive vision ! Ab boire ce petit homme de toute ma peau ! Me rouler sur lui comme la mer roule sur un galet. Ou tendrement le bercer de mon souffle dans les cheveux. Chaque jour il vient sur la plage, enfonçant ses pieds comme des fleurs à peine pubères dans le sable mouillé. J’en frémis de joie car les joies se prennent par les yeux, l’ouïe, la salive qui inonde la bouche, le baiser du vent sur le visage. Il file près de moi, silhouette gracile sur le ciel et l’écume des vagues, ombre ciselée sur l’éclat du jour. Moi aussi, Lolita nymphette, j’étais gracile comme cet éphèbe encore enfant avec toutes les promesses d’un fruit prêt à éclore. Et quand, sortant de l’eau, il tend son jeune corps à l’adoration du soleil, je ne puis m’empêcher de sourire à la miraculeuse beauté du monde. Lire la suite