Voici, fidèlement retranscrites ici pour la postérité, ou ce qui en tient lieu dans nos mémoires capricieuses ayant érigé l’amnésie instantanée en modèle de relation au Temps, les dernières paroles de mon illustrissime père Frank Louis Lloyd Ferdinand White Spencer Clouzot :

« Gloups. »

Il y eut bien un « Aaargh… » juste avant, mais le souffle manqua au grand homme pour vraiment rendre justice à ces gutturales si poignantes. « Gloups », donc, un peu mou et humide, restera dans les manuels d’Histoire À Dormir Debout comme le dernier mot de cette figure emblématique du capitalisme au XXe siècle. Lire la suite


1

C’est beau, un cimetière, la nuit.

Les sépultures ont une grandeur d’éternité. Aucun pied ne foule les allées. Est-ce le clair de lune, est-ce l’obscurité, la température, ou une combinaison des trois ?

Toujours est-il qu’en ces lieux, la brume est chez elle, cette nuit encore.

Grise et ouateuse, elle lévite à ras du sol, enrobe les résidents à la manière d’un linceul collectif, s’enroule autour des branches, s’amasse autour des pierres. Dont celle-ci, marbre anthracite dépourvu de fioritures, veillant au repos d’un certain William Shakespeare, 1969 – 2014.

Pendant un moment, le brouillard stagne au-dessus de la tombe. Puis il s’emballe, se partage en son milieu, comme s’il reculait face à un coup de vent, ou comme si un corps venait de le traverser de part en part – ce qui est bien entendu impossible, puisque, répétons-le, nul vivant ne rompt cette nuit le sommeil des morts. Reste que la brume s’est bel et bien divisée devant la tombe de William Shakespeare. Lire la suite


Note : les passages en italique sont extraits d’une étude menée par des chercheurs en sciences humaines de l’UCL, publiée sous le titre « Radiographie d’une société malade »  (Editions Alpha-Omega ;  Belgique ; 2019.)

 

« Il fut une époque où des mariages d’amour étaient scellés entre ceux qui, depuis quelques années, s’estiment incompatibles. On naissait sur les terres de l’autre, on y grandissait, y finissant sa vie parfois. Durant ce temps, la vie, comme de juste, passait ; chacun le savait, et chacun vivait en conséquence…» Lire la suite



Une nuit au cours de laquelle une aurore boréale se produisait dans le ciel de l’Australie orientale, à Bruxelles, une femme acheta du potiron pour sa soupe ; à Paris, Jean-Paul Gautier eut l’idée d’une robe sans fil ; à Londres, un serrurier, ayant oublié ses clés sur la table de sa maîtresse, retourna chez cette dernière et la trouva au lit avec son successeur ; à Djakarta, un jeune garçon de douze ans crut qu’il urinait dans ses draps en plein sommeil avant de comprendre que la maison était la proie d’une inondation ~ et tout cela n’a strictement aucun rapport avec le fait qu’au même moment, en Californie, Arnold Schwarzenegger recevait la visite d’un homme deux fois plus musclé que lui à son domicile de Beverly Hills. Lire la suite


Ce monde-ci a été façonné en 7 nuits.

7 nuits de rêves et de cauchemars.

Le jour, je faisais mine de mener une existence normale. Mais la nuit !

Pour ceux qui verraient dans le nombre avancé, 7, une allusion biblique, je jure de n’avoir pas fait exprès : j’ai créé et détruit au gré de mon inconscient.

7 nuits. Les plus excitantes de ma vie. Lire la suite


Il y a longtemps que je ne suis plus le gardien de notre père qui êtes odieux, et encore moins, je crois, de mon frère ; pas le gardien, non, mais plus simplement ~ plus tristement ~ le témoin de leur déclin mental et physique (le pouvoir est une matière grasse, et son épaisseur met du temps à se diluer. Mon père ne s’en est toujours pas remis, lui qui a continuellement l’œil torve et le ricanement mesquin. Quant à mon frère, il s’entraîne ferme, bien qu’il ne fasse pas toujours les bons exercices, et se sape par ailleurs avec des armures de diplomates taillées par de grands couturiers, mais il y a là-dessous des dépôts adipeux qui feront un baroud d’enfer si les apparences venaient à craquer, ce qui va être le cas tôt ou tard. Au moins ça, c’est une certitude.) Lire la suite


Je suis israélien et j’ignore pourquoi et comment.

Hier encore je ne l’étais pas. Sans me rappeler toutefois ce qu’alors j’étais.

J’ai sur le corps un uniforme à l’épaulière ornée d’un symbole et dans les mains une arme ~ M-16, la mitraillette officielle de l’armée israélienne (ceci je le puise dans une connaissance technique qui me paraît innée) ~ identique à celles brandies par un groupe d’individus se déployant à quelques mètres devant moi. Je ne vois que les à-plats noirs de leurs silhouettes se découper sur le fond rougeoyant d’un immeuble incendié vers lequel nous semblons nous diriger d’un pas alerte. Lire la suite