La villa s’appelait Zonneschijn. C’était une des plus anciennes de Coxyde. Construite au début du siècle, elle était complètement ceinturée de dunes. Cette protection naturelle lui avait valu de servir de quartier général à l’armée allemande durant la Première Guerre mondiale et de rééditer cet exploit lors de la Seconde. Mais cette fois les dunes s’étaient creusées d’un blockhaus, resté intact après le départ des envahisseurs. Lieu interdit à toute exploration, ce blockhaus, béant et noir, encore truffé de mines car des mines il en restait partout à l’époque, donnait à nos jeux d’enfants un goût de mort et de sable. Les barbelés, à travers lesquels on voyait s’éloigner vers la plage les pensionnaires du sanatorium voisin, encerclaient la villa et les dunes. Mais nous n’étions pas plus prisonniers que les lapins qui sautaient dans les ajoncs. Le blockhaus, les terriers innombrables, nos cachettes dans les argousiers suffisaient à l’évasion. Une drôle d’évasion cependant : le paysage était troué, dévasté. D’une guerre à l’autre, le littoral belge a mis longtemps à se relever de ses blessures. Et dans la décennie qui a suivi la guerre, les airs de kermesse de Coxyde, ses moulins en celluloïd colorés, ses aubettes de Photo Hall, ses crochets radiophoniques qui rassemblaient des foules sur la place de l’Horloge, ne sont jamais parvenus à masquer totalement le goût crissant de la mort dans les tartines, le contact crissant du sable humide quand le pied s’y enfonce, insupportable comme la craie qui griffe le tableau noir. Lire la suite


Les armées allemandes envahirent le royaume de Belgique, dont la neutralité était garantie par les grandes puissances de l’époque, le 4 août 1914, par la frontière de l’Est, un patelin appelé Gemmenich. Lequel fait maintenant partie de la commune de Plombières, dans le Nord de la Province de Liège, à quelques kilomètres de la frontière avec les Pays-Bas. Le premier soldat belge que les envahisseurs tuèrent sur leur chemin était un cavalier appelé Fonck, qui a donné son nom à une caserne située à Liège, en bordure du quartier d’Outre-Meuse.

À Strivay, hameau de la commune de Plainevaux, à quelque vingt-cinq kilomètres de Liège, on a dressé une stèle en l’honneur du premier officier belge tué le 5 août 1914. Il s’agit du baron Merten de Herne, qui commandait ce jour-là un escadron du deuxième régiment des lanciers. Strivay, qui se trouve pas loin du lieudit Hoûte si ploût (« Écoute s’il pleut »), fait actuellement partie de l’hinterland cossu de la ville de Liège, lieu de résidence pour professions libérales et dirigeants d’entreprises. On suppose que l’endroit était déjà huppé au début du xxe siècle, quand y habitait la famille du baron Merten de Herne. Les lanciers belges, on s’en souviendra, se couvrirent de gloire quelques jours après la mort du baron, le 12 août, quand deux mille d’entre eux, assistés de quatre cents carabiniers cyclistes, mirent en déroute une troupe allemande trois fois supérieure en nombre, composée de uhlans. Ce fut sans doute la dernière bataille rangée de cavaliers en Europe. Le lieutenant général De Witte, qui commandait les troupes belges, fut plus tard fait baron De Witte de Haelen, du nom de la commune près de laquelle eut lieu la bataille, devenue Halen, sortie 25 sur l’autoroute A2, pas loin de la ville de Diest. Lire la suite


Les temps peuvent venir où les rapides sabots des coursiers barbares
claqueront sur les décombres amoncelés de nos villes.

Ernst Jünger, la Guerre comme expérience intérieure

La scène se passe en août 2014 dans le bureau du président de l’hyperpuissance. Sont présents quelques membres triés sur le volet du Conseil de sécurité : David B***, le tout-puissant chef de la police secrète ; Edward S***, le responsable occulte de Rubicon, le programme de guerre électronique ; le général Timothy W***, le dirigeant le moins corrompu du complexe militaro-industriel. Outre deux ou trois assistants qui ont juste le droit de servir le café équitable et les cookies, participe aussi à cette réunion Lord Gibbon, l’ambassadeur de Grande-Bretagne. Lui, à petites gorgées, boit du thé de sa réserve personnelle, un Ging biologique, first flush. Sans lait.

Tous transpirent abondamment en raison d’une panne générale du système de climatisation et ont déjà, à l’exception du Britannique, tombé la veste et défait leur nœud de cravate. De l’ordinateur présidentiel, sur lequel se fixent tous les regards, s’échappe une voix mélodieuse qui scande une étrange mélopée : Aum, Hana Hana, Daha Daha, Paca Paca… Lire la suite


Elle a longtemps passé pour la « grande », avant que l’Histoire ne s’ingénie à faire mieux encore, c’est-à-dire bien pire. Elle est la première à avoir été qualifiée de « mondiale », et là encore elle a bientôt été surpassée dans le genre, par un conflit mobilisant la planète au grand complet. Depuis lors, pour de multiples raisons, il semble que l’on se soit gardé de poursuivre l’escalade, du moins dans les adjectifs.

Pour la raison toute simple, et apocalyptique, que l’on aurait dû impliquer le cosmos, ce qui fut suggéré par le fantasme de la guerre des étoiles. Star Wars, cette épopée hollywoodienne dont il faudra admettre un jour qu’elle n’est pas qu’un divertissement aussi basique que fantaisiste, mais une habile préparation des esprits. Aux antipodes de la dénonciation de l’horreur belliqueuse qu’illustre génialement Guernica, cette saga pour pré-ados a inauguré l’ère de la militarisation robotique et spatiale qui, de fictionnelle, est devenue des plus réelles. Lire la suite