Ce matin-là, il décida de se mettre sur son trente-et-un, comme on disait chez lui. Il enfila son plus beau costume, noua sa plus belle cravate ramenée de Rome, qu’il étala avec soin sur sa meilleure chemise blanche. L’heure était à la cérémonie. Comme beaucoup d’autres, il venait d’être victime de ce qu’on appelait dans le monde des affaires une rationalisation. Le grand groupe pétrolier dans lequel il travaillait en qualité de petit cadre commercial avait bien fait l’année précédente de plantureux bénéfices et ses dirigeants s’étaient vu octroyer d’impressionnants bonus de rémunération, mais dans le site où il se trouvait, il avait été déclaré en surnombre. On l’avait viré proprement, avec un petit pécule de départ. Le CEO avait tenu un discours marqué du sceau du réalisme le plus direct : « Ça a été bien pour nous l’année passée, mais la conjoncture n’est pas belle, et les temps qui viennent seront évidemment (il avait insisté sur « évidemment ») plus durs. Nous avons donc dû procéder à des compressions de personnel, afin de sauvegarder l’essentiel, notre société, à laquelle nous sommes tous très attachés ». Il y avait eu quelques applaudissements et davantage de huées. Le CEO était alors monté dans sa grosse Mercedes, pour rejoindre le jet privé qui devait le conduire dans une des îles des Caraïbes, où il allait goûter à un repos bien mérité. Lire la suite