« Cette fois, je le sens bien, tsunami ! », s’écria-t-elle en riant. Et elle lui offrit encore un baiser sur la bouche, voluptueux comme un tableau de Boucher. Il se retira d’elle et s’ébroua.

Après avoir bien baisé, dit-il, si nous allions faire un tour sur la plage ? Lire la suite


Il le fallait. La loi était pour nous. Depuis le temps qu’on nous le répète : les Juifs sont un corps étranger dans la France, quoi qu’ils fassent, ils ne seront jamais français, à l’exemple de ce Blum qui en accordant tous les droits aux crapuleux en casquette, a préparé la défaite de notre pays. Même lorsqu’ils cessent de se rendre à la synagogue, de manger casher, de se marier entre eux – car il leur arrive d’épouser nos propres filles, quand ce ne sont pas leurs filles qui épousent nos garçons ! –, ils restent juifs dans l’âme, et jamais du vrai sang français ne coulera dans leurs veines. L’exposition du Palais Berlitz a bien mis les choses au point, non seulement en nous apprenant à reconnaître les Juifs, mais en démontrant qu’ils étaient partout, dans les affaires, la politique, la presse, le cinéma, les arts, le théâtre, la chanson, et j’en passe. Avec l’obligation qui leur a été faite de porter l’étoile jaune, nous nous sommes sentis un peu plus tranquilles. Certains d’entre nous qui portaient des noms suspects – mais tous les Rosenberg, on le sait, ne sont pas juifs ! – ont pu obtenir un certificat de non-appartenance à la race juive du Commissariat général aux questions juives. Louis-Ferdinand Céline, l’un de nos plus grands écrivains, a eu bien raison d’écrire dans Les beaux draps que le Juif « a qu’une chose d’authentique au fond de sa substance d’ordure, c’est sa haine pour nous, son mépris, sa rage à nous faire crouler toujours plus bas en fosse commune ». Et aussi : « Ça serait prudence élémentaire, les Juifs absolument exclus, autrement c’est la catastrophe, c’est la culture aux abîmes, au reptilarium kabalique, aux gouffres de l’arrière-pensée ». Ah ! Ce n’était pas une belle âme, Céline, mais un vrai Français qui disait tout haut, et avec quel talent, ce que la majorité des Français, je veux dire des vrais Français, pensaient tout bas. Lire la suite


In memoriam F. B.

W. avait connu V. lors d’un séjour à la mer, pendant les vacances d’été, à De Haan-aan-Zee (il disait Le Coq-sur-Mer), il y avait quelques années déjà. Elle était mince, presque frêle, mais ses seize ans étaient déjà pleins de promesses en tous genres. Côté seins et fesses, certes, mais aussi côté esprit. Elle n’était point sotte, et s’intéressait à beaucoup de choses. W., qui était plutôt du genre fou-fou, était très impressionné par son côté bonne élève (chez les sœurs, à Gand, où l’on portait encore un uniforme bleu marine et des socquettes blanches dans des souliers noirs à talons plats).

Il adorait sa façon de parler le français. Elle y mettait une application qui le flattait, sans doute un peu à tort, car ce n’était pas seulement pour s’entretenir avec lui qu’elle parlait sa langue. Lire la suite


Sainte-Justine-en-Ardenne, le 21 juillet 2004

Ma toute blonde,

Il pleut sur Sainte-Justine-en-Ardenne. Pas un petit crachin du genre breton, mais des seaux, que dis-je, des citernes d’eau grise. Ma seule consolation est qu’il paraît qu’il pleut aussi à Knokke. Les Flamands sont donc arrosés deux fois : chez eux et dans cette Ardenne qu’ils envahissent, en nombre égal, me semble-t-il, de celui de leurs frères ennemis, les Hollandais, dont la portion femelle se signale ici par des cuisses remarquablement épaisses et des coiffures démodées qui évoquent les bigoudis des permanentes faites à la maison dont abusait ma tante Élise. Il pleut, dis-je. Dans cet hôtel plutôt cossu, je regarde tomber la pluie sur le plateau ardennais, sur la rivière par-delà la route nationale, sur l’église au clocher d’ardoise. Peux-tu comprendre ce que signifie un doux désespoir ? Maintenant que tu es si loin de moi, il pleut aussi dans mon cœur, comme dirait l’autre. Je profite de l’absence de Judith et des gosses, occupés à s’empiffrer de gâteaux dans la pâtisserie d’à-côté, pour t’écrire ces quelques mots en vitesse. J’ai prétexté une note de lecture à rédiger et puis, il y a bien longtemps que je suis parvenu à faire croire aux miens que je n’aime pas les gâteaux. Tu sais que ce n’est pas vrai, pas plus qu’il n’est vrai que je n’aime pas les blondes, alors que je n’ai jamais été aussi amoureux que de toi, qui es la seule vraie blonde que j’ai connue. N’ajoute pas « jusqu’à présent ». Je compte bien faire durer mon présent avec toi jusqu’aux contreforts de l’éternité. Lire la suite


Il paraît que Marc Dutroux a aimé Michèle Martin, et que celle-ci lui a rendu son amour. Marc a dit un jour à Michèle : « Tu as de beaux yeux, tu sais ». Et Michèle a dit à Marc : « Comme tu parles bien ! ».

Marc a pris Michèle dans ses bras, il l’a embrassée sur la bouche, et elle a senti basculer sa raison dans ce magma multicolore qu’on appelle l’amour. Lire la suite


(Côté jardin, une porte donne sur ce qui est censé être une salle de bains. Dans le fond se découpe la porte d’entrée de l’appartement ; à la droite de celle-ci, un lit est collé contre le mur, dans une sorte d’alcôve : il est occupé par une personne dont on devine qu’elle est fort âgée. Côté cour, une baie vitrée donne sur une terrasse. L’appartement est meublé de manière banale, plutôt branchée ; un réfrigérateur trône de l’autre côté de la porte d’entrée). Lire la suite


Jankélévitch, Vladimir (1903-1985) : « Apprendre est un leurre, c’est le mot apprendre qui est une métaphore. On n’apprend pas à souffrir (…). Seulement, primo, on s’habitue. Il y a une accoutumance. (…) Et puis deuxièmement, on triche avec la douleur, on la rend supportable. Je ne crois pas qu’il y ait de souffrance qu’on ne puisse apaiser, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas un apprentissage. (…) Alors a fortiori apprendre à mourir, c’est une absurdité (…). Pour apprendre, quelque chose, il faut déjà l’avoir un peu fait. Donc, pour la douleur, cela aurait peut-être plus de sens. Mais pour la mort, qu’est-ce que vous voulez apprendre ? C’est déjà trop tard (…). Accoutumance, mieux vaudrait dire adaptation. Un homme est adapté à sa souffrance, sa souffrance familière. »[1] Lire la suite


À seize ans, Georges Simenon, saute-ruisseau du journalisme, s’occupait des chiens écrasés dans la Gazette de Liège, devenue longtemps après édition liégeoise de La Libre (sans « Belgique », on est à Liège). Trois ans après, il était à Paris, où il s’est mis à noircir du papier sous différents noms. Du porno, de l’aventure, du polar, comme on ne disait pas à l’époque. Trois cents kilomètres entre lui et Liège est surtout « mère »[1]. Maigret est flic à Paris. Les romans sans Maigret se déroulent presque tous en France. Il y a quelques années, un important hebdomadaire parisien évoquait l’écrivain « français » Georges Simenon. Pourtant, jusqu’à la fin de sa vie, Simenon a conservé son accent liégeois. Et c’est l’Université de Liège qui conserve ses papiers.

* Lire la suite


Jésus, dit « le Christ », ne fait pas partie de mon Panthéon. Quand on me frappe sur une joue, j’ai tendance à mordre la main qui m’a frappé. Et je ne rends à César que quand je trouve que César le mérite. Quant à Dieu, mes rapports avec lui ne sont vraiment pas bons, et ne sont pas en passe de s’améliorer. Quand on me découvrira un cancer en mauvaise voie, je reverrai peut-être ma position.

Que Jésus soit né à Bethléem plutôt qu’à Céroux-Mousty me laisse assez indifférent. De nos jours, Bethléem est peuplé en majorité de gens qu’on appelle des Palestiniens. Jésus était aussi un Palestinien, c’est-à-dire un Bédouin. Il devait ressembler à ceux qu’on voit maintenant, qui ont une espèce d’essuie-mains sur la tête. Pas du tout au baba cool blond qu’a popularisé l’iconographie sulpicienne et qui nous viendrait des Byzantins. Tout cela, au fond, a peu d’importance. Je ne crois pas du tout qu’il existe de terres « saintes ». Il y a des endroits où vivent des hommes et des femmes. Dans certains de ces endroits la vie est difficile, et parfois dangereuse. C’est le cas de Bethléem, ces jours-ci. Cela seul m’intéresse, et tout le bla-bla gnangnan sur les lieux Saints m’indiffère, quand à y insister on ne me met pas en boule. Lire la suite


C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grands-mères, De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps. Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Les Châtiments, Livre II, III

 

Mais il n’est pas fini le temps de ces grands-mères,

Cousant dans leurs linceuls les victimes des guerres.

Grands-mères de Kaboul, Gaza ou Kigali,

Ou de tant d’autres lieux dont le nom a pâli. Lire la suite