Madame achevait de bâiller dans les draps, elle était ronde d’un héritage, elle se caressait le ventre en babillant : petit masque, les grands sont à la guerre, reste en moi, j’ai si peur que n’éclate cette bulle.

Derrière les tentures du palais, des émissaires, gens de turbans et de cartes, financiers, stratèges, Grand Philosophe d’Arabie ; croisaient leurs silhouettes, hors caméra, faisant fi des lois et des peuples. Lire la suite


Parfois, quand ils avaient des congés, tel un vol de gerfauts hors du charnier natal, les vacanciers anonymes traversaient les champs de blé couchés, au-delà du cordon impassible de la frontière.

Ils embarquaient le plus souvent dans de grandes familiales, après une nuit fébrile à choisir avec parcimonie le contenu de leurs bagages. Ainsi dans les débuts d’aurores, les enfants endormis se laissaient glisser comme des petits sacs de sable aux paupières lourdes sur les sièges en similicuir d’une GS moka, d’une CX bleue aux reflets de métal. Les derniers kilomètres du côté de Quiévrain, le long d’une espèce de gazoduc, ou la forêt si dense qui précède Charleville-Mézières, quand ce n’était pas les parents qui chuchotaient : « Cette fois-ci on passe par le Luxembourg ou la Champagne. »

Parfois. Lire la suite


Premier tableau

De l’autre côté du bras de mer, pépiaient les oiseaux ; je t’attendais sur l’embarcadère crinière au vent.

Viens sur mon confetti de sable, le homard est sur la table, du plus loin qu’il m’en souvienne, tu en pinçais pour lui.

Pas de quatre ni même deux roues, ici les habitants n’ont que deux pieds suspendus sur l’eau.

Parfumé dans l’air, bulles champagne Dior, je cours en zigzag après les cerfs-volants.

Ici il n’y a rien il faut tout inventer, si je creuse un trou c’est pour m’y lover.

Les battants du bahut de grand-mère gémissent quelquefois la nuit, les secrets bien gardés sous les nappes en crochet dorment dans les coquelicots fanés.

Les abeilles ont envahi le cœur des trémières, j’ai mis les ruches face au continent.

Je m’en vais il fait soleil, recharge ta pile avant de traverser. Lire la suite


… tant que l’on peut prendre un bain, cela vaut la peine de vivre. Un bain et une cigarette. Tout en fumant, la main à fleur d’eau, Laurette comparait le clapotement qui la berçait aux jours agités qu’elle avait connus, au tumulte de tant de paroles, à ses extravagances, aux projets qu’elle avait toujours réalisés et qui, pourtant, ce soir, se réduisaient à cette baignoire et à cette tiédeur.

Avait-elle été ambitieuse ? Elle revit les visages des ambitieux : des visages pâles, marqués, crispés, y en avait-il un seul d’entre eux qui ait connu la détente d’une heure de paix ?

Même au moment de mourir, cette passion ne se ralentit pas. Il lui semblait que pas un instant elle ne s’était relâchée. Peut-être, il y a vingt ans, quand elle était encore gosse, qu’elle attendait, le cœur battant, la saison des confettis, des baraques et des masques, alors peut-être elle avait pu se laisser aller… Lire la suite


Les mots sont fatigués. Je suis le plus petit souverain du monde, le plus entravé par la constitution d’un peuple qui nous a choisies, nous les porcelaines de Saxe dans la vitrine du Gotha. Depuis presque deux cents jours, je reçois la visite ininterrompue de linguistes.

Mardi, 8 mai

Dans mon périmètre national et familial, un premier linguiste est venu mettre à plat son texte sur la table après une consultation populaire, j’ai immédiatement nommé un premier traducteur de cette prose pour qu’il me délivre un sens premier, universel, qui parle à l’inconscient de mon peuple, quelque chose de déjà-vu par un maximum d’individus, un premier cliché originel, simple, compréhensible. J’espérais un résultat rapide, hélas il m’a fallu déchanter, le texte était pipé. J’ai fait bonne figure et commandé un banquet de bonne avoine, en espérant garder bon teint. Lire la suite


Des années d’évolution pour en arriver là, pensez donc, entre la pensée caca-pouêt-pouêt déversée à haute dose sur les écrans de télé et le rot bien gras jusqu’à la couenne des fins de repas trop arrosés où les blagues fétides et malsaines se veulent seules pensées et seule subversion, la pensée s’avachit dans ses vieilles charentaises, ces malodorantes charentaises qu’on répugne cependant à porter quand on sort ; elle s’y répand et s’y étire avec le soulagement et la béatitude d’une pensée crapuleuse libérée du carcan de l’exigence. Voici à quoi doit ressembler le visage de cette fameuse « identité nationale », celle qui obsède depuis des années jusqu’à la nausée nos Le Pen, de Villiers, Sarkozy, on sait ce qu’il advint en ce pays lorsque le faciès des citoyens fut sans cesse contrôlé.

France.

Intérim. Lire la suite




Un meunier hollandais, sentant sa fin prochaine, fit venir ses huit enfants, leur parla sans détour.

— Vous ne pourrez pas tous vivre de notre pauvre ferme, le cours du malt hélas a bien chuté, et les florins se font rares.

— Toi, dit-il à l’aîné, tu reprendras la meule et le moulin à malt, c’est patrimoine de famille, tâche de transmettre notre art de la bière à tes enfants. Lire la suite


Ma Grande Chérie, ce n’est pas grave, pas grave du tout, je vais m’occuper de toi, maintenant que ces méchants, ces sans vergogne, et j’en passe, ne t’ont pas renouvelé ton CDD, ce contrat dur et déterminé, que tu mérites, et ce n’est pas faute d’avoir essayé de travailler, je le sais moi personnellement, tu as tout fait, tout fait, pour continuer à supporter la face de rat de notre patron, le Méchant Loup de la tour Madou, et l’ombre de son ombre, le Nain Lourd du Boulevard Jacquemain, cet escroc du quatrième étage, ce pinceur de croupion des madames-café à la sortie des ascenseurs, je suis écœurée…

Conseil n°l : Regarder un snuff movie : « torture d’un sexe déshumanisé en silicone », puis sortir dans le brouillard s’acheter un vibromasseur. Lire la suite