Politiquement, la Belgique est plus poreuse au Sud qu’au Nord. Demandez à un Flamand qui est l’actuel Premier ministre hollandais, il se grattera la tête et finira par avouer son ignorance. Ou il citera un certain Wilders, qui se situe dans une opposition coopérante, mais est surtout connu pour sa tignasse jaunâtre et ses convictions d’extrême droite. Et cela s’arrêtera là, à moins qu’il ne cherche vainement le nom d’un chef de gouvernement portant les lunettes rondes de Harry Potter…

Un francophone belge, par contre, fera volontiers étalage de sa connaissance très poussée de la politique française. Il pourra réciter dans l’ordre les noms de tous les présidents de la Ve République, comme jadis les écoliers ânonnaient la dynastie des Louis. Il pourra même vous dire sans trop d’effort contre qui ces chefs de l’État furent élus, voire la réplique de débat télévisé qui leur permit de l’emporter, avec en tête le « Vous n’avez pas le privilège du cœur », la formule giscardienne qui retarda de sept ans l’accès de François Mitterrand à la magistrature suprême. Lire la suite


Amazone, amazone, amazone, Amazone. Le fleuve et la guerrière, deux puissances que seule la majuscule distingue. Le plus long cours d’eau de la planète, puisqu’il s’écoule sur 6 800 kilomètres, au débit de quelque 230 000 mètres cubes d’eau à la seconde, doit son nom, dit-on, à ces femmes armées d’arc aux flèches empoisonnées qui opposèrent une résistance forcenée aux conquistadors. Lire la suite


Et si le Tour de France était la huitième merveille du monde ? Un monument, certes, mais vivant, mobile (ô combien), une installation — pour user du jargon esthétique contemporain — qui convoque un pays, le plus légendaire qui soit, et le met à contribution comme décor et protagoniste d’une épopée sans pareille ?

Il y a des tours dans d’autres contrées, souvent inspirés de ce prototype, comme il y a des Académies, des Comédies sur le modèle hexagonal, mais il n’y a qu’un Tour, que l’on a traduit dans d’autres langues, qui est devenu Giro, Vuelta, Ronde, mais qu’il suffit de nommer pour qu’on sache qu’il ne peut être que de France, d’une France conquérante, qui passe les frontières, enjambe les mers, annexera peut-être un jour d’autres continents, des planètes pourquoi pas, en demeurant pour autant le Tour, à savoir une promenade pédalante par les routes de France et de Navarre. Lire la suite


Les vrais embrasements s’en viennent sans crier gare. Comme si l’Histoire se passait de transitions, d’évolutions progressives. Jusqu’au point de rupture, tout semble baigner, et puis, tout à coup, rien ne va plus, au point que le retour en arrière semble impensable, que toute Restauration est exclue.

Un système donnait apparemment satisfaction, puisqu’il n’était pas contesté en ces lieux d’arbitrage où le monde s’ordonne, qu’il n’inquiétait pas outre mesure les témoins médiatiques, et, même, permettait d’accueillir, pour leurs loisirs et leurs agréments, les repus venus d’ailleurs. Lire la suite


Le compte à rebours est plus qu’engagé. Les journalistes ne se privent pas d’imaginer les formules les plus alarmistes. La Belgique passera-t-elle l’hiver ? Au sein de Marginales où l’on traite la question depuis belle lurette, on a depuis longtemps dépassé ce stade. Il s’agit de transcender l’effet d’annonce, et de regarder les choses en face.

Voici donc un pays prospère, pour autant qu’un pays puisse se vanter de l’être depuis la catastrophe de la mondialisation, c’est-à-dire le phénomène unique de la logique de marché libérée des contraintes de l’État de droit, et ce à l’échelle du monde, et ce pays se trouve face à l’hypothèse de sa disparition. Il y aura toujours un territoire, singulièrement revendiqué par aucun voisin (on remarquera qu’on est dans un phénomène dont l’Histoire ne donne pas d’exemple), il y aura toujours une population, mais qui ne sait pas de quelle identité politique elle va se retrouver affublée, il y aura toujours une vie économique (de plus en plus précaire, il va sans dire, mais quand même), mais sans régulation. Ce dernier point est essentiel : la Belgique, si elle va au bout de son délitement, non contente, au niveau de ses entreprises, de ne pas avoir à rendre compte à un arbitre planétaire, n’en aura plus de local non plus : quel soulagement pour les spéculateurs de tout poil ! Lire la suite


Par être, il faut entendre paraître. L’adage est plus d’actualité que jamais. Il ne se passe rien aujourd’hui qui, si un profit quelconque est envisagé, ne se soucie de son image. 

Cela vaut pour les produits du commerce, comme de juste, mais aussi pour bien d’autres matières qui ne devraient pas être préoccupées par la question. Le tout s’inscrivant dans le principe de chosification, de mercantilisation qui est la tendance lourde de l’époque. Le marché absorbant tout, ses usages se généralisent. Et le plus important d’entre eux est ce qui s’appelait jadis la réclame, est devenu la publicité, et se résume aujourd’hui dans la com’. Lire la suite


L’Europe n’a pas de quoi pavoiser. D’ailleurs, elle a supprimé son drapeau de son texte fondamental. Et si elle l’y avait maintenu, il n’est pas sûr qu’elle aurait le cœur à le brandir. Ce n’est pas un détail.

À force de prendre les symboles pour des balivernes, elle est en train de se priver de ses assises. Elle a cru, pendant longtemps, qu’il suffisait d’avoir l’œil sur les colonnes de chiffres, et voilà que, faute de colonnes morales — osons cette notion qui gagnerait à être cotée à la bourse des priorités —, elle vacille, éveille les fantasmes de chute d’empire, dans la mesure où elle en constituât jamais un. Lire la suite


Une star est ramenée à la condition d’homme par les lois de la nature. Il peut toujours survenir, dans la belle mécanique humaine, qu’un accroc se produise, plus ou moins grave, qui rappelle au vivant qu’il ne l’est que provisoirement, que la mort rôde et que tôt ou tard, mais inévitablement, elle aura le dessus. L’homme a peut-être ceci de particulier de se savoir mortel (n’est-ce pas là pourtant l’une des illusions qu’il se fait sur sa supériorité, comme de croire qu’il se distingue par sa faculté de rire ?), mais ne se singularise-t-il pas au moins autant par son rêve d’immortalité, dans l’immanence ou dans la transcendance? Lorsqu’il se trouve, par son talent, par la reconnaissance de celui-ci, et par les puissances démesurées de la communication, élevé à l’altitude des étoiles, on lui prête plus encore la faculté d’ignorer les atteintes du temps et des ans l’irréparable outrage. 

Et pourtant, les anges chutent. Lorsqu’ils sont ainsi brutalement remis à leur place, s’ébranlent les techniques de plus en plus sophistiquées de la médecine, dont les prouesses, au cours des dernières décennies, ont progressé à un rythme de plus en plus accéléré. Si on laissait à ces nouveaux apprentis sorciers la faculté d’aller au bout de leurs ambitions, ils seraient à même de bricoler un hominidé de substitution, qui serait plus capable de prouesses physiques et intellectuelles que son modèle de chair et de sang, mais à qui il manquerait ce supplément d’âme qui fait toute la différence, et qui s’accompagne forcément de fragilité.

Il est donc arrivé à un surhomme d’apparence, capable de donner, grâce aux artifices du spectacle, devant des milliers de ses semblables pourtant, l’illusion d’échapper à leur finitude, d’être douloureusement rappelé à l’ordre. Aussitôt, bien sûr, des hommes de l’art parmi les plus réputés ont été appelés à son chevet. Et en particulier l’un d’entre eux, coutumier des interventions auprès des vedettes, sur qui d’ailleurs une part de leurs paillettes est fatalement venue se déposer, qui s’est trouvé confronté à l’enveloppe humaine, trop humaine, du mythe. Pour lui, le temps de son intervention, la personnalité adulée des foules n’était plus qu’un agencement d’os, de nerfs, d’organes que, fort de son savoir, de son expérience et de la qualité de son appareillage, il devait remettre en état de marche.

Le malheur voulut qu’il n’y est pas parvenu. Qu’il fut lui aussi rappelé à ses limites, obligé d’admettre que la médecine n’est jamais qu’un ralentisseur de l’irréparable. Or, sa proximité d’avec le surhomme l’avait aussi doté, dans l’imaginaire collectif, de pouvoirs exorbitants. Il faillit dans sa mission de porter secours au demi-dieu. L’opprobre qui s’abattit sur lui fut dès lors épouvantable. Celui qui la veille encore était auréolé d’une réputation de thaumaturge fut accablé de tous les maux. Les faiblesses qu’on lui avait excusées auparavant, parce que l’on pardonne aux idoles comme on ne prête qu’aux riches, devinrent aussitôt des tares. On jeta sa vie privée en pâture à l‘opinion, on rappela ses démêlés avec la justice (sur lesquels, s’il n’avait pas démérité, on aurait continué à jeter un voile pudique), il devint, du jour au lendemain, l’ennemi public numéro un. Il subit même, de la part d’admirateurs de la star qui avaient adopté les aspects les plus agressifs de sa personnalité, des remontrances musclées. Il fut, au sens métaphorique et littéral, à proprement parler lynché. 

Son sort, par les temps qui courent, illustre un usage qui reprend vigueur. L’excès de vindicte qui se porte sur des personnages en vue renvoie à l’exercice ancien de la justice populaire. On sait les tortures publiques que l’on faisait subir, dans des temps anciens, aux coupables d’atteintes aux figures royales par exemple, spectacles dont le succès d’affluence était proportionnel à leur horreur. La justice, par la suite, se fit plus discrète, à huis clos, comme si la démocratie, sur ce plan également, admettait d’être représentée. La confiance était accordée collectivement aux préposés, avocats, magistrats, juges et si elle devait être faite, son application ne se déroulait plus sous les yeux d’un vaste public avide de sensations. Les procès, par contre, passionnaient les informateurs et les meilleures plumes, dans les gazettes, rendaient compte en détail de leurs sessions, captivant des lecteurs passionnés par ces récits, où le plaisir de conter le disputait à la rigueur de l’analyse. Il ne semble pas que cette approche réfléchie de l’élaboration de l’éventuelle sanction soit encore privilégiée : lui est préférée une manière plus expéditive, qui fait allégrement fi de la présomption d’innocence, du secret de l’instruction, de toute une batterie de droits qui est le fruit d’un patient travail d’élaboration, où la technicité juridique tente d’épouser les subtilités de l’évolution des mentalités. 

On dira : mais n’arrive-t-il pas aussi à l’appareil judiciaire lui-même de sacrifier à ces excès? Faut-il voir autrement l’arrestation, puis la libération sous condition, en attente d’une possible extradition, d’un autre artiste qui ne semble pas déclencher de mouvement collectif de soutien dans l’épreuve qui lui est infligée? Comme si la puissance de l’appareil qui le frappe intimidait ses sympathisants. On a entendu, il est vrai, dès après le guet-apens qu’on lui avait tendu dans le pays réputé pacifique où il avait été attiré à ses dépens,  quelques voix s’élever. Mais elles devinrent bientôt muettes. Et on ne vit pas, dans les rues, défiler de cortèges réclamant la liberté pour l’un des plus grands créateurs de ce temps, déjà confronté, au fil de sa vie, aux dictatures et à l’horreur criminelle. Il ne semble même pas admis de relativiser le forfait qu’il aurait commis. Le regretté Jacques Chessex, qui osa prendre sa défense dans un débat public, rencontra une telle opposition que, sortant de ses gonds, il y laissa la vie. L’affaire a donc déjà fait une victime, un grand écrivain qui, comme celui qu’il avait défendu, avait osé, dans son œuvre, regarder à maintes reprises le Mal en face. 

Cette livraison de Marginales, dont notre ami Breucker, avant de nous être arraché, avait dessiné la vignette sans même en connaître le thème (signe de la profonde complicité qui le liait à la revue), est dédié à la mémoire de l’auteur de « L’Ogre », écrivain du même pays où le cinéaste du « Pianiste » est actuellement détenu. Poète, romancier, pamphlétaire, personnalité coléreuse et généreuse à la fois, défenseur des libertés, dénonciateur des étroitesses d’esprit, Chessex était avant tout un prosateur puissant et frémissant, toujours emporté par une indignation ou une effusion, et qui mettait au service de ses émotions une langue à la clarté toute voltairenne (il avait d’ailleurs écrit un « Rêve de Voltaire »). Il est mort en prenant fait et cause pour un camarade créateur. Cela lui ressemble tellement, même si la mort ne ressemble à rien. On peut à présent dire de lui ce que, dans « Incarnata », il écrivit à propos de Ramuz : « C’est curieux, il est mort, et c’est lui le vrai vivant ».


Tout a commencé, une fois de plus, à New York. Il y aura bientôt huit ans, des tours vouées au commerce mondial s’effondraient sous les yeux médusés de la planète entière, puisque l’Histoire, aujourd’hui, est devenue un « reality show » permanent.

Sept ans plus tard, les gratte-ciel demeuraient debout, mais se vidaient de l’intérieur. Du moins ceux qui s’occupaient d’un commercer très particulier, celui de l’argent. Un phénomène inédit, une fois de plus, propre à ce vingt-et-unième siècle qui nous confronte avec des événements qui nous déconcertent parce qu’ils paraissent imprévisibles, dès lors inévitables, et par voie de conséquence fatidiques. Lire la suite


Tout vacille sur ses bases qui sont, comme on est mal payé pour le savoir, économiques. Le tsunami financier submerge la planète entière, mais l’Occident surtout, forçant seulement les pays émergents à renoncer à leur croissance à deux chiffres. Ne nous attendons pas aux conséquences de ce chambardement pour la Belgique, qui semble n’échapper à l’effacement de la carte que parce qu’elle a une raison d’être européenne qui la force à surnager. Nous avions, souvenons-nous, envisagé qu’elle trouve en son Premier ministre à la fois l’exécuteur et la désignation de son terme. L’intéressé a, après une embellie due à sa familiarité avec les chiffres qui fit un temps illusion, définitivement compris qu’il avait pulvérisé son niveau d’incompétence. Y a-t-il encore des pilotes susceptibles de guider le rafiot Belgique ? D’aucuns prétendent que le moule est cassé, et ceux qui aimeraient leur riposter manquent, il faut bien l’avouer, tragiquement d’arguments.

Pendant des mois, sous toutes les latitudes, les nations furent distraites de leur sort, même des plus préoccupants, par le destin politique de celle qui passait encore pour la plus puissante d’entre elles. Les Étatsuniens ne furent pas les seuls à se demander à qui ils confieraient leur sort. Ébranlés par les deux mandats du lamentable Bush junior, qui restera dans l’Histoire pour avoir été le démolisseur de son pays sur tous les plans, ils sentaient que cette fois ils jouaient à quitte ou double. Cette conscience, ils l’ont, au fil de la campagne partagée avec d’innombrables citoyens du reste du monde. Jamais on ne vit tant d’opinions publiques se mobiliser pour une cause qui ne les regardait en principe pas. C’est qu’il se jouait entre Atlantique et Pacifique une grande bascule qui dépassait la politique, qui relevait de l’anthropologie. Lire la suite