Jacques et moi avons été mariés pendant plus de treize ans. Un amour de jeunesse emporté par les tourbillons de la vie mais qui a cependant laissé la place à une amitié profonde, indéfectible. Il était là pour moi, j’étais là pour lui. Ce samedi, au téléphone, il me détaillait encore une foule de projets, passionnants, originaux. Quelques semaines plus tôt, Jean Jauniaux m’avait demandé un texte de fiction à offrir à Jacques le jour de son 75e anniversaire, le 19 août 2020. Une sorte de fable m’était venue à l’esprit, un texte écrit avec affection et respect pour Jacques qui, au fil des ans, était resté mon meilleur ami.

Ce texte, j’en ai modifié la fin. Le chagrin m’empêche d’écrire autre chose. J’espère que là où il est, Jacques s’en amuse et débusque certains détails qui ne peuvent être appréhendés que par lui.

Ce texte était initialement intitulé La nuit des fées Lire la suite


À mon fils, Romain

 

« Tu as beaucoup de chance d’être loin, crois-moi ! En fait, je t’envie… Mais, bon, maintenant, je peux te l’avouer, je t’ai toujours enviée. Tu me pardonnes ? Tu vas vite comprendre pourquoi… »

Léa coupe la communication tout en calculant qu’elle a dû être enregistrée il y a plus de cinq mois terrestres, quelques semaines après le décollage, lorsque l’agence encourageait encore tous ses proches et collègues à enregistrer des capsules audio, sortes de lettres sonores amicales, à égrener au fur et à mesure du voyage. Lire la suite


— Nous allons atterrir -j’ai bien dit atterrir !- dans quelques instants…

Le kapitolien m’interroge du regard. J’aurais du réagir, manifester de la joie, de la surprise, une émotion quelconque mais je ferme les yeux. Je suis angoissée. L’effroi me colle au siège, m’empêche de savourer ces instants rares.

— Quelque chose ne va pas ? Vous devriez être émerveillée. Ce vol est d’une rare précision. Lire la suite


Elle m’attendait sur le bord de la route comme un chat qui hésite à se lancer sur l’autre rive d’un ruisseau.

Il pleuvait. La voiture s’est presque arrêtée d’elle-même. La fille m’a lancé un regard brumeux à travers quelques mèches perdues dans cette petite pluie d’automne. Je n’avais jamais pris d’auto-stoppeur mais cet oiseau ébouriffé m’a donné envie d’enfreindre la règle, de transgresser l’interdit. Elle m’a crié le nom d’un quartier éloigné de l’endroit où je me rendais, en périphérie. Je lui ai souri et elle a sauté sur le siège sans attendre que j’enlève les quelques papiers d’affaires qui y traînaient.

J’ai tout de suite regretté d’avoir ouvert à ce passager clandestin. Lire la suite


Nulle nuit nest si longue que le jour ne la suive.

Macbeth

1603. William court dans les rues de Londres. Il a mal. Son cœur lui donne l’impression de gonfler dans sa poitrine, de toucher sa peau pour le faire éclater de l’intérieur. Il marche à grands pas, trébuche, les bras tendus. Il fait noir mais il préfère l’obscurité aux lueurs qui, de temps à autre, déchirent le voile du réel et lui offrent une vision d’enfer. Courir, ne pas regarder ces hommes et ces femmes à la peau noircie, grelottant au bord du tombeau. Courir vers le théâtre, se concentrer sur les visions qui colorent son univers intime. Lire la suite


Si avoir le sens de l’orientation consiste à disposer mentalement un endroit par rapport à une direction, je ne dois pas être très douée pour ce genre d’exercice. L’un des deux éléments m’échappe toujours. Aujourd’hui, si je connais la destination, si je parviens à la visualiser, c’est la direction qui me semble moins sûre. Parfois, je suis consciente de l’emplacement très précis où je me trouve sur le globe mais j’ignore où je dois me rendre, ce qui revient au même. Au fil du temps, j’ai fini par m’habituer à cette sensation de malaise qui, à chaque croisement, ne fait qu’accentuer mon désarroi. Lire la suite


Après avoir camouflé la voiture tant bien que mal, nous avons marché sans nous retourner. Xavier suivait le plan dessiné par ma mère. Devant nous, des blocs de minéraux monochromes dressaient des remparts de plus en plus difficiles à contourner. Sous nos pas, le sol s’effritait. Une poussière blanche s’insinuait entre les plis de nos vêtements, finissait par nous couvrir d’une pellicule cendrée. Je ne pouvais penser qu’au sac, bourré de bouteilles d’eau minérale. Il me lacérait les épaules. Xavier progressait sans se préoccuper du paysage lunaire, agressif. L’absence de bruits me perturbait. Pas un cri d’oiseau, pas un murmure, rien que deux corps en souffrance et la sueur perlant sur nos peaux martyrisées. Lire la suite