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En entrant dans la pâtisserie, c’est à sa mère qu’elle pense, à sa mère enfournée dans la nuit des tissus et des voiles, à sa mère dans le velouté des sucres et des miels, à toute cette masse qui s’attache à ses hanches, à ses seins, à ses fesses et que son père visite encore dans les saveurs conjugales d’après Javel et nettoyages divers.
(Je ne peux lui ressembler ainsi, je ne peux, je ne veux devenir ce tas de graisse qui fait bander un homme, je ne veux pas de cette chair qui tremblote dans le froissé des étoffes, je suis ici, dans la boulangerie, pour choisir, payer et emporter ce que ma mère exige, je suis fille et de bonne volonté, je m’adapte, j’obéis, je souris, je mange, trop, comme les hommes de la maison m’y invitent, mes frères qui veulent me voir grossir pour les débarrasser du souci de me protéger, trop grosse je serai laide et lourde, trop lente pour la cavale, une grosse c’est plus simple à maîtriser, plus malhabile à se défaire des brides, une grasse, ça s’installe, ça pose ses masses, ça étale ses rouleaux de suif, c’est difficile à distraire, c’est tout entier concentré sur sa colonne comme un mât d’abondance, un tas ça ne bouge pas, ça prend place, ça creuse le paysage et ça se tait.) Lire la suite →