On s’envole et on s’invente

Des millions de gens qui chantent

Dans nos têtes

Oh quelle fête

On se lance dans la danse

Qui balance entre la vie et l’amour

Claude François, Je vais à Rio

J’étais en retard, mais pas de plus d’un bon quart d’heure : ce que justifiaient amplement les embouteillages d’Ixelles à midi et la difficulté de se garer au long de la satanée chaussée d’Austerlitz… Et j’avais miraculeusement fini par dégoter l’emplacement rêvé : juste en face de chez Max ! Lui qui, m’attendant à deux pas de là, devait avoir laissé seuls au gîte ses chats Clifton et Maldoror.

Un moment, j’ai détaillé le domicile du maître et de sa petite famille, Marie-Chantal en tête. Une maison bruxelloise à deux étages et un entresol, de surcroît le siège historique des méconnues Telstar Productions. Une demeure dont Max, en dessinateur ludique et conséquent, avait agrémenté la façade de boiseries aux volumes chantournés et aux couleurs primaires dans le plus pur style atome. De quoi la démarquer, façon châtaigne en pleine poire, de la grisaille et de la banalité des bâtisses alentour… Lire la suite


Certains sont du soir, d’autres du matin, et Robert Botilde, étant du matin, avait au saut du lit enclenché son panoptic afin d’y renouer le contact avec ses semblables et comme qui dirait reprendre conscience de la réalité.

La réalité, effectivement, puisqu’il avait suffi à Robert de dicter son passe à l’ouïe de l’appareil multimédia — Rob-Bot, en dissociant bien les syllabes – pour se retrouver plongé en direct et selon son choix dans les lieux les plus chauds de la planète : soit sur le site Democrazy où se jouaient différents moments forts de la libération de ceux que les voix off des commentateurs qualifiaient, de façon insistante, de champions de la démocratie… Lire la suite


Hip hip hourra !

Hip hip hip

For Belgica !

Cher pays de

Mon enfance

Bercé de

Tendre insouciance

Tou m’as toué je crois

Ouais j’crois qu’tou m’as

Troué le cœur…

Black Belgicanos, Wasted Land

Même à présent que l’hystérie collective mettait Belgica à feu et à sang, Willy Darc ne saisissait pas bien comment la situation avait pu se dégrader à ce point. D’autant que ce qu’on avait vaguement baptisé « la crise » stagnait depuis tant de mois ! Et que lui, s’intéressant si peu à la res publica d’ici ou d’ailleurs, absorbé comme il l’était par ses psychodrames intimes et sa révolte musicale d’éternel adolescent, s’était en quelque sorte habitué à la pérennité des querelles belgico-belgicaines. Lire la suite


À sept heures trente-cinq du matin, le ciel vaporisait sa bruine par-dessus les enchevêtrements de Ciné-City, et quand il franchit le portail vitrifié de l’imposant building d’Omnimedia, Jorge Luis Philby aurait dû avoir le teint livide, les gestes hésitants : c’est qu’il n’avait, comme à son habitude, pour ainsi dire pas dormi de la nuit, épuisant avec application la liste intégrale de ses bouges attitrés. Mais bon, les noceurs de sa trempe n’étant jamais pris de court, un comprimé de kinokaïne et une bouffée de benzium avaient suffi pour que tout s’arrange à peu près. Pour que, différents miracles chimiques s’étant accomplis, il retrouve sa démarche féline des grands jours : celle d’un sexagénaire qui ne fait pas son âge et qui défierait même le temps qu’il lui reste à passer en ce bas monde. Quoi de moins étonnant chez qui, investi comme lui l’est de la fonction de gérer l’actualité, a pour univers un éternel présent ? Lire la suite


Je vais te tirer les cartes
Et dans ta vie je vois
Des voyages des nuages
Des orages avec moi…

Melina Mercouri, Je suis grecque

En ces premiers jours d’avril 2081, il faisait venteux et il faisait soleil. Et bien que l’avenue du Luxembourg et les rues adjacentes, dans ce périmètre de sécurité, semblaient avoir été vidées par un vent vif et frisquet, il faisait plein soleil sur le centre de Bruxelles, un soleil dont les rayons allumaient d’éclairs bleutés la rotonde métallique du Port-salut. Ainsi surnommait-on le bunker Modern Style par-dessus lequel tournoyaient les hélicos de surveillance et sous lequel bruissait mine de rien la ruche du Parlement européen. Lire la suite


La baie de San Juan de Luz était merveilleusement calme. La pleine lune électrisait le panorama, les flots luisaient comme du papier d’argent froissé et le lent ballottement du yacht Rosemonde répondait aux bouffées de la brise vespérale. En ami de longue date, l’industriel Frédéric Friedman m’avait proposé ce séjour d’un long week-end sur son palace flottant en la compagnie une quinzaine de connaissances communes. Question de prendre un peu de recul, après la course de fond qu’avait été la campagne électorale. De quoi me ressourcer avant de retrouver l’arène politique et son public impatient de voir à l’œuvre la première femme à accéder à la fonction présidentielle…

Quitte à choquer, j’avais quant à moi délibérément coupé tout contact avec mon quartier général comme avec le parti. Silence radio, du moins vis-à-vis du monde extérieur. Car c’était tout sauf le silence, dans le salon du Rosemonde où la fête battait son plein. Il y régnait une telle exubérance que j’avais eu envie de goûter au champagne rosé et que je me sentais prête à des plaisirs dont les turbulences récentes de ma vie privée, à commencer par ce divorce avec mon Boris de mari, m’avaient tenue quelque peu éloignée. Lire la suite


C’est effrayant : être en vie, cela signifie avant tout se demander si oui ou non on sera  encore en vie dans une heure.                       .                    

Jacques Sternberg, Le Cœur froid

 

Au sortir d’une léthargie qui l’avait plongé dans  différents bains de sang aussi incongrus qu’inquiétants, Fred Kador réintégrait ce qui était son chez soi : une des centaines de logettes quadrillant le vaste dortoir de la Hearternity Ltd. Rien de très reluisant ni de très personnel, mais bon, quelle importance ? Fred se sentait suprêmement détaché des choses de ce bas-monde… Et puis, sa conception du bonheur n’obéissait-elle pas au sain principe de changements ténus dans la continuité ? Allons, se dit-il, tout va bien et tout ira bien, la vie suit son cours ainsi que se poursuivrait un rêve éveillé… Lire la suite


« J’ai fait un rêve », affirmait

Le Pasteur Martin Luther King.

« Faisons un rêve!», proclame

Cet homme neuf

En nous ouvrant les portes

D’un nouveau monde enchanteur»

Chanson électorale,

 octobre 2008

Une biographie, ça s’invente

Louis-Ferdinand Céline

 

Barock Ousmane Obamo II est le premier saint politique de l’histoire de l’humanité. Fait remarquable à son époque pour une personne de couleur, il s’est imposé comme celui que chacun, brusquement dépourvu de repères éthiques et économiques, attendait désespérément. Surgissant au plus fort d’une tourmente financière d’envergure planétaire, alors même que les nations basculaient dans l’angoisse d’une récession traînant après elle les spectres de la guerre et de la misère, il a su incarner le désir d’un changement généralisé. Lire la suite


Tous les tableaux devraient être de la même taille et  de la même couleur, de sorte qu’ils seraient interchangeables et que personne n’aurait le sentiment d’en avoir un bon ou un  mauvais.

Andy Warhol

Il fut un temps, récent, où Jim Greylord Jr passait sans peine pour un des derniers, voire pour l’ultime empereur de la finance transnationale, sa qualité d’Européen rendant le prodige plus remarquable encore.. Le secret de sa réussite ? Cet octogénaire dont le physique d’ascète et le visage parcheminé n’étaient pas sans rappeler la dégaine de feu l’écrivain Samuel Beckett, avait su garder intacte la fièvre d’innovation et de transgression qui firent le charme et la raison d’être de sa vie d’adolescent, durant les déjà historiques Golden Sixties qu’il passa à hanter les cénacles expérimentaux de Paris et de Londres. Lire la suite


« Une carte n’est pas le territoire… »

Alfred Korzybski (Prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la sémantique générale)

 

Avant de sortir, il avait pris soin de se coller une fausse moustache sur la lèvre supérieure, de chausser d’épaisses lunettes d’écaille et d’enduire de gomina ses cheveux qu’il peignait en arrière : une tenue à laquelle l’imperméable mastic qu’il venait d’endosser donnait la touche finale. Ainsi, il ressemblait au défunt André Cools, ce qui suscita en lui un délicieux sentiment de transgression. Rien d’étonnant à cela : n’était-il pas sur le point de défier le sort ? En tout état de cause, il parcourrait incognito les quelques centaines de mètres séparant la rue de la Loi de la Place de Brouckère, où débouchaient des boulevards qui n’avaient pas volé leur surnom d’artères vers l’enfer. Lire la suite