Paradis, le vendredi 6 juin 2003. 14h45

En dépit d’un emploi du temps chargé, Dieu accueillit en personne ses invités sur le « Nuage Roland-Garros ».

Il les installa dans la Tribune d’honneur du Central Philippe-Chatrier, d’où ils auraient une vue imprenable sur le match qui n’allait plus tarder à débuter. Lire la suite


Je ne suis pas près d’oublier la session de l’Assemblée Générale du 14 février 2002, jour de la Saint-Valentin. Les débats s’éternisaient entre les traditionnels va-t’enguerre, partisans du déclenchement immédiat des hostilités et les États qui, obstinément, exigeaient que la preuve fût apportée de ces armements massifs dont on soupçonnait la Nation ennemie de s’être équipée. En vieux briscards de la diplomatie et scrupuleux gardiens des procédures, ces États restaient sourds aux bruits de bottes qui commençaient à résonner dans les aérodromes, sur les ponts des navires, dans les casernes et surtout, semblait-il, dans le Bureau Ovale à Washington. Lire la suite


(Quelque part dans le monde, à la veille du déclenchement de la deuxième guerre d’Irak)

Cher Georges,

Nous n’avons pas pour habitude de nous écrire. C’est le moins que l’on puisse dire… Les haines familiales qui se perpétuent entre générations ne contribuent pas au développement de dialogues paisibles et harmonieux. Mais, tant pis ! Je me résous à le faire au risque de t’entendre dire que ma démarche constitue un signe de faiblesse, qu’elle recèle une de ces traîtrises dont je serais coutumier, ou qu’elle représente, à tes yeux de paladin des temps modernes, une veulerie habituelle de mes corréligionnaires que d’anciennes croisades auraient dû éradiquer faute de pouvoir les évangéliser.

Tant pis ! Lire la suite


Lorsqu’il eut achevé de dissimuler les traces sanglantes de son forfait, un de ces nouveaux meurtres demeurés inexplicables, Nicolas Dostkine leva le regard de sa table de travail et se laissa distraire par le mouvement de la mer du Nord. Il aimait à l’observer par la baie vitrée du bunker enterré au fond du jardin de sa maisonnette de Saint-Idesbald.

La tempête faisait rage. Le vacarme du vent et des vagues lui tenait compagnie tandis que comme toutes les nuits, il avait renoncé à trouver le sommeil. Plutôt que de s’agiter sans repos dans l’inconfort et l’angoisse des insomniaques, il s’était levé et attelé à l’ouvrage de ce qui allait devenir un nouveau crime parfait et, selon toute probabilité, un succès commercial qui ferait le bonheur de son éditeur.

Après avoir achevé le chapitre auquel il s’astreignait chaque jour, l’écrivain aimait à marcher sur la plage, surtout en ces jours d’automne où les vents du Nord transforment la mer en un champ de bataille assourdissant. Lire la suite


Dix-neuf heures. Le 11 septembre 2001. Dans le cabinet de Claire Werst, psychanalyste.

« Je vous écoute…

— Nous sommes le 11 septembre. En boucle, tous les écrans de télévision montrent des images de mort depuis 15 heures… Moi, je suis allongé sur ce divan, à me demander le sens de ma vie… Quelle dérision ! Vous ne trouvez pas ? Vous qui ne dites jamais rien… N’avez-vous pas été ébranlée, cette fois ? N’est-ce pas pire que tout ce que vous avez entendu ? Allez ! Parlez… pour une fois… Tout est différent, aujourd’hui… Vous pourriez prendre la parole, vous aussi… Pleurer vous aussi… »

Bruissements de la page de bloc-notes. Toux sèche pour éclaircir une voix qui ne s’exprime pas.

Silence. Lire la suite


En guise d’introduction

Est-il nécessaire de présenter Nicolas Dostkine aux lecteurs de cet ouvrage ? Par millions, les lecteurs ont plébiscité l’écrivain hennuyer : les tirages pharaoniques en font foi. Chaque année, à la rentrée littéraire de septembre, apparaissait en librairie le nouvel ouvrage de Dostkine. Les traductions, les adaptations au cinéma ou à la télévision, les critiques dithyrambiques élargissaient sans cesse la renommée de l’auteur et le nombre d’exemplaires (non seulement vendus mais… lus !), qui figurent à présent au voisinage de la Bible, d’Agatha Christie et de son compatriote Simenon. Par testament – un document apocryphe heureusement retrouvé et rapidement identifié –, l’écrivain légua au Fonds qui porte son nom l’ensemble des manuscrits contenus dans les cartons stockés à l’intérieur du fameux « bunker de Saint-Idesbald ». Le dépouillement de ces milliers de pages (ses « vrais romans » comme il les désigna) exigera plusieurs années de travail aux chercheurs de l’Université de Mons qui en est la dépositaire. Mais d’ores et déjà, un des exégètes parmi les plus zélés présenta, lors d’une communication à l’Académie, le surprenant résultat d’une analyse à laquelle il soumit les titres de l’œuvre dostkinienne : c’est à Victor Hugo (Les Contemplations) que Nicolas Dostkine emprunta le titre de chacun de ses ouvrages publiés à ce jour. Lire la suite


Lettre à Madame Wilquin

Datée de Région Euro-Bruxelles, le 14 août 2101

Chère Madame,

Ayant appris que vous consacriez le prochain numéro de « Marginales » au processus d’élargissement de l’Europe, je me permets de soumettre à votre comité de lecture le récit « Histoire vraie », consacré à un épisode méconnu de la construction de l’Union Européenne.

Cette histoire appartient à notre tradition familiale. Mon parent Alexander Dostkine y a joué un rôle décisif mais inattendu.

À titre d’anecdote, et sans que cela influe sur votre décision de publier, je ne peux m’empêcher de vous signaler que Alexander compte parmi les premiers abonnés de « Marginales ». Lorsque la revue réapparut à la fin du siècle dernier, il en avait conservé quelques numéros dont « À l’Est, toutes ! » — titre ô combien prémonitoire —, que vous aviez publié vingt ans avant ce grand événement que représente l’entrée de la Russie au sein de l’Europe enfin achevée !

Alexander appréciait beaucoup Luce, votre dynamique aïeule (ils avaient eu l’occasion de se rencontrer pendant leurs études linguistiques). Il lui donnait à lire, de temps à autre, des récits et nouvelles.

Certaines furent publiées, notamment dans un des numéros consacrés à la « Wallonie », devenue dans l’Europe actuelle la « Région Euro-Wallonie ».

En vous souhaitant plein succès pour ce nouveau numéro de « Marginales », je vous prie d’agréer, Chère Madame, l’expression de mes civilités empressées,

Dimitri Dostkine

Saint Idesbald

Région Euro-Flandres Lire la suite


Les peupliers plongeaient leur fine silhouette dans l’encrier de la nuit. Ils cueillaient un peu de blanc dans les grandes taches claires des nuages, pour consteller le ciel d’astres et d’étoiles.

Ce souvenir envahissait ma mémoire tandis que d’un geste lent et précis, la main du médecin commença de dénouer le bandage qui m’enserrait les yeux. De la douceur accompagnait le mouvement agile des doigts. De la tendresse habitait la voix pendant le dévoilement de mon regard.

« Lorsque j’enlèverai le dernier pansement, je vous demanderai de garder les yeux fermés quelques instants. La pièce dans laquelle nous nous trouvons est plongée dans la pénombre. Ne croyez pas vos yeux moins sensibles à la lumière… Tout s’est bien passé… L’opération est une réussite ! » Lire la suite


 Horizon noir et grand bois noir

Et nuages de désespoir

Qui circulent en longs voyages

Du Nord au Sud de ces parages

Émile Verhaeren,  Les villages illusoires

Qui dira, dans l’ombre du bois, l’odeur des fraises premières,

le goût des premiers baisers, la douceur des premiers gazons,

et le vol rapide et muet des fugaces, fugaces saisons ;

qui dira les sentiers de jadis, la fontaine aux tendres mystères ?

Paul-Jean Toulet,  Élégies

À l’Ami lecteur

Quai de la Senne, Bruxelles, le 18 avril 2099

Le fleuve charrie à mes pieds un cloaque de carcasses humaines et animales. Sur la rive qui me fait face, un incinérateur pousse vers le ciel des convois de nuages sales. Leur masse de suie drape Bruxelles d’une nuit sans fin. Lire la suite


J’ai arraché mes racines de l’argile et de la pierre bleue d’Écaussinnes, des prairies grasses et des granits.

Je les ai déterrées en poussant des « ahan » sous l’effort, qui résonnaient sur les parois de mon cœur comme le vacarme incessant des carrières de Belle-Tête ou de Scoufleny. À coups d’explosifs, les carriers détachaient des parois creusées dans le sol d’immenses obélisques de pierre bleue. Ces masses minérales allaient, ensuite, être débitées, tranchées, sciées, calibrées en autant de dalles ou de blocs que l’exigeaient les commandes opulentes issues des grands chantiers de l’après-guerre. Les trottoirs des villes, les parois grandiloquentes des basiliques de « seconde catégorie », les promenades de Knokke-le-Zoute, les brise-lames de Koksijde-Bad s’habillaient alors des armures grises en pierre de Écaussinnes. Les rails du Royaume vibraient la nuit sous les lourds convois de granit qui sillonnaient la toile d’araignée Belgique à partir de ce grand nombril creusé au cœur du Hainaut. Lire la suite