Pour le hérisson d’Élohim
On l’appelait « le vieux », ou alors, ceux qui se souvenaient de son nom, « Monsieur Élohim », ou encore, et c’était toujours avec la mauvaise haleine du mépris, « l’homme ».
Chaque année, au début de septembre, on le voyait revenir au village. Les fermiers au volant de leurs convois agricoles lançaient en le croisant le beuglement de leurs sirènes. Certains frôlaient l’homme en arrivant à sa hauteur, mais il ne déviait pas d’un millimètre la trajectoire du caddie qu’il poussait devant lui. Cette année-là, il arriva au couchant. Le soleil allongeait sur la route l’ombre de l’homme courbé sur la charrette. Il ne regardait pas aussi loin, l’homme. Son regard était rivé sur les cartons qui se dressaient aux flancs du chariot, sur les sachets de plastique accrochés par des nœuds comme des défenses de caoutchouc que les marins disposent sur la coque des bateaux, sur le nylon taché de son sac de couchage. Il l’avait déployé pour l’aérer et le sécher, sur les vestiges de sa vie : une boîte de craie, une éponge, une latte de bois graduée, une règle de même longueur aux extrémités protégées par des coins métalliques et trois manuels scolaires : Morale, Géographie, Histoire. À l’abri d’un sac étanche, il conservait aussi une boîte d’allumettes, un peu de bois sec et des journaux pour allumer le feu quand il s’abritait pour la nuit. Pour le reste, son caddy se remplissait et se vidait au fil des aubaines rencontrées et des jours survécus. Dans son manteau, un de ces longs vêtements dont les pans se soulevaient au passage des voitures, il avait fixé à une chaînette une longue clé rouillée. Chaque fois qu’il s’arrêtait pour reprendre son souffle, il ne pouvait s’empêcher de la sortir, de la regarder, ou simplement, en enfonçant la main dans sa poche, bien vérifier qu’elle ne s’était pas détachée. Lire la suite