Le paysage était loin derrière elle, maintenant. Le jeans au niveau de sa taille boudinait. Lolita, elle le fut. Lo li ta, jo li tas, elle le fut. N’avait-elle pas écrit : « là, à demi-nue sur une natte inondée de soleil, s’agenouillant et pivotant sur ses jarrets, je vis mon amour… » ?

Le livre qui porte ce nom, relu cinquante ans plus tard, garde-t-il le piment corrosif de sa jeunesse ? N’est-il pas devenu, plus simplement, la sinistre aventure du narrateur ? Le roman d’un pédophile, le rêve détaillé et pervers d’un névrosé qui se raconte jusqu’à la cour d’assises, peut-être pour se justifier ? Depuis lors, les tribunaux en ont jugé d’autres, dans le réel et le sanglant, provoquant le public et les marches blanches.

La confession romancée, qui s’intitule Lolita, échappe à la seule licence par la narration même de son héros, si l’on peut appeler ainsi Humbert Humbert. L’obsession lui donne du lyrisme, mais l’obsession demeure répétitive lorsque les pages succèdent aux pages. Nabokov atteint-il son but : « fixer à tout jamais la magie périlleuse des nymphettes » ? Lire la suite


Tout un passé submerge, tout le passé débarque. Il prend les couleurs d’aujourd’hui, quelle que soit la vigueur des images qui furent, l’une cache l’autre ou mord sur la mise en page. Marmelade au passé présent.

L’arbre abattu a franchi le ruisseau.

Hitler, et les bras se lèvent. Staline, et les poings se nouent. Mao, et l’esprit se gèle. Quant aux sectes et aux croyances, elles se veulent dominantes, condamnent puis tuent. Dans le bruit et la vitesse, Shakespeare s’amplifie et l’on remplace l’assassin par la terreur diffuse. Elles étaient trois sorcières, ils sont tous kamikazes à l’infini et angoisse à chaque heure. Lire la suite


Le vert était venu. Bourgeons et fleurs éclatent. La glycine, le lilas, les muguets s’affirment au même instant. L’anomalie de ces floraisons simultanées surprend, enchante ou inquiète. Joie colorée du printemps après un âpre hiver, anxiété de ce changement subit que des orages déjà soulignent. Malgré ces brusqueries du climat, le rouge-gorge picore avec sa distinction naturelle, le merle, en fin de journée, module les accents de son monologue au sommet de l’arbre, cependant que des escarmouches opposent la pie et la corneille.

Rien de très particulier en cette fin du mois d’avril, si ce n’est une certaine tension dans l’air et des réactions à fleur de peau chez les humains. Ces derniers se partagent, en proportions presque égales, entre ceux qui espèrent s’accommoder et ceux que des bouffées d’aigreur animent encore. Tous se plaignent du coût de la vie, toujours en hausse. « Normal, chacun veut plus et on n’est pas gouverné ! » Le leitmotiv est quasiment général. Lire la suite


En plein midi, le soleil joue sur la terrasse.

Une explosion. Un grand silence.

Une femme enceinte se voulait une bombe vivante. Les blessés gémissent et crient. Les morts sont toujours innocents. Le terrorisme n’est-il pas le cancer de la résistance ? « Il fallait se défendre, on ne pouvait admettre le grignotement des lieux dans lesquels on vit », disait-elle. Lire la suite


L’arabesque d’un pas, qui a quitté le sol, jusqu’au bras opposé, qui tient une raquette, ce tracé est heureux. Sur l’envol d’une balle qui touche une autre ligne, qui décoche la force, elle règne et s’affirme. (Degas l’eût-il connue, que tout musée l’acquiert !) Son domaine est de feu, d’une brique pilée, défini de traits blancs que sa course domine. L’effort se noue et se détend aux quatre coins de ce rectangle où tout se joue, en revers, au filet, la souplesse régnante. De la rigueur à la nuance, que de muscles conviés, que de poses reprises. Le temps facture les erreurs et toujours gagne, sauf sur soi-même, si l’on se trouve. Panem et circenses ? Mais gratuite est la grâce…


La langue est frontière du diable. Elle engage, elle englue, elle est pulpeuse attrape-mouche. Elle absorbe le geste et l’aboutissement. Elle est limite, sans mot de passe. Faut rejeter tout vêtement, faut être nu. Les sens présents sont de même origine. Mais de bouche-à-oreille, le son dérive et reste son. « Then why not lips on lips when eyes in eyes ? » Ni lui, ni d’autres, Racine ou Goethe, n’ont de réponse à proposer. Par-delà les frontières viendra chanter la chair vive du jour !


« Il avait une sale gueule.

— Mais encore ?

— Il me lançait des injures.

— Qu’a-t-il dit ?

— Je n’en sais rien, il ne parlait pas le français.

— Comment sais-tu alors qu’il t’injuriait ?

— Son visage le criait ! » Lire la suite



« Eh bien, qu’attendez-vous ? Allons-y ! »

Il avait l’air sceptique. Ce que l’on oublie, nous les Occidentaux, c’est de savoir d’où ils viennent, ce qu’ils ont traversé, pour autant qu’ils aient voulu le faire, passer d’une rive à l’autre, comme on franchit le pont Charles, le même décor, mais poussés, entraînés par les autres, être propulsés, se retrouver sur l’autre rive, sans trop savoir comment on y est parvenu, comment cela s’est produit, se sentir soudainement libres dans un grand bruit d’excitation. Des accolades, les larmes aux yeux… Être libre. De quoi ? Lire la suite


Il croyait bien avoir trouvé la solution. Le problème de Schwartz n’en était plus un. Il avait toujours été convaincu que seul le raisonnement pouvait venir à bout de l’énigme, comme on la nommait entre spécialistes.

« Je dois prévenir Charles », se dit-il. Charles était son assistant préféré. Que de fois n’en avaient-ils discuté, en séminaires ou lors de colloques à l’étranger. Il soupira et la formule éculée, que tout homme emploie un jour, lui traversa l’esprit : « C’était le bon temps ».

Non que le problème de Schwartz fût une obsession, il avait résolu, au cours de sa vie, tant d’autres questions, fait progresser les connaissances, développé tant d’autres raisonnements, mais Schwartz fut toujours ce point noir sur l’horizon. Il sourit… pas le sien uniquement ou celui de sa génération, l’illustre et redoutable physicien germanique était un homme du XIXe siècle. À croire que celui-ci avait mijoté ce coup tordu pour tous les chercheurs à venir. Lire la suite