Le visage ruisselant de sueur, la moiteur et la peur chevillées au corps, embusqué derrière un énorme pilier couvert d’un sang séculaire, l’homme ajustait son arme, le geste peu sûr, les paupières lourdes. La fureur et la faim en lui s’épousaient, et tandis que l’une prenait la main de l’autre, le décor tournoyait, devenait cette peinture dont il avait un jour vu la reproduction dans un livre, cette arche fonçant dans la nuit, secouée par le vent d’une histoire folle, cette arche sur le mât de laquelle était crucifiée une oie alors que l’équipage trompait la mort en s’adonnant aux derniers plaisirs… Levant les yeux, il fut aveuglé par une salve de lumière et dut se résoudre à les plisser en forme de croissant, en forme de larmes. Il se dit que le toit éventré permettait à ses camarades de capter les forces du ciel, de le faire descendre ici-bas, d’appareiller cette terre pour un autre voyage.
Les balles sifflaient, horizontales, se fichant en grappes serrées dans des tableaux dorés et pourpres, un collier d’impacts se dessinait sur le tabernacle, formant ironiquement le sigle inri. Des mouches voltigeaient, dansant entre les projectiles, puis s’agglutinaient sur les plaies de jeunes hommes qui pleuraient en invoquant leur mère. Tout était oblique. Obliques les pensées qui se cognaient à elles-mêmes et n’avaient désormais pour tout champ d’exercice que l’espace du combat. Obliques les tirs ennemis qui faisaient hoqueter l’Histoire en resservant les plats de la mort, ceux-là mêmes dont ils avaient été victimes… Obliques les rêves des assiégés qui luttaient pour que la liberté vienne déposer sa signature sur leurs lèvres… Oblique le bruit des chars qui n’hésitaient à mettre à bas les incarnations et représentations du divin… Lire la suite