Si on observait la femme de loin, on aurait dit un fragment de vie tombé dans la vacance de l’attente, arborant la posture de qui se retient d’exister pour vivre au futur, suspendant le présent de ses gestes, de ses intérêts, de ses emportements pour les magnifier dans l’avenir ; elle était semblable à un animal tapi dans l’ombre qui refrène ses élans, retient d’amener le mouvement à son terme et fige dans une pause ce qui ne demande qu’à jaillir. De près, on eût dit une boule de cristal illuminant le palimpseste de tous les possibles, n’excommuniant aucune piste, mais sous cette apparente égalité des perspectives, un œil attentif aurait pu déceler un infléchissement vers le pays de la plus grande chance, vers la chanson à la plus haute note, tant et si bien que l’accueil généreux de tous les alluvions se mobilisait en réalité pour l’advenue de festivités bien délimitées. Comme une geisha experte dans le maniement de l’éventail, elle écartait, comprimait ce qui faisait obstacle à ses rêves de noces équatoriales tandis qu’elle ramenait dans les plis de son axe toute une palette d’événements et de sentiments qui amplifiaient la voie de son désir. En raison de ce tri incessant, l’appartement ressemblait à une gare s’activant à sélectionner les aiguillages fastes et à écarter les voyageurs hostiles. Usine à rêves à la performance assurée par la sûreté et la promptitude du partage entre ingrédients salvateurs et ingrédients inhibiteurs, suractivité paradoxale d’une vie qui s’est faite attente, d’une attente qui a occupé tout le terrain de la vie, bruits de hauts fourneaux qui travaillent à précipiter la fin des prodromes… la femme était tout à la fois une mendiante qui s’en remettait aux diktats de l’ange, une charmeuse même pas mondaine qui lustrait la courbe des événements, la martyre consentante d’une cause amoureuse cultivant l’inouï, une aristocrate qui se faisait forgeron pour vaincre l’épreuve du feu, une soupirante éconduite qui s’accrochait aux vertus du temps de la patience. C’est d’être envoûtée sans être convoitée qu’elle se soumettait, docile, à toutes les rudesses, c’est d’être allée au-devant de toutes les déceptions, de toutes les violences qu’elle sentait poindre l’aurore de toutes les aurores. Lire la suite