Je le sais, Madame, qu’il est bon, mon café.

Je tiens ça de ma mère. Bien après sa retraite, elle allait encore le préparer pour la vieille madame Darsibois. Je le passe à la chaussette, comme autrefois. L’important, c’est de ne pas laisser bouillir l’eau, à peine frémir, humecter la poudre pour qu’elle gonfle, puis verser à petits coups réguliers, sans que le marc ne sèche. Ne surtout rien faire d’autre, être là tout entier, en corps, en esprit, en cœur, je dirais en âme si j’y croyais. Alors, votre café, c’est un concentré d’amour. De nos jours, les gens utilisent des machines qui font pchiiit. Ils ont besoin de ça, le pchiiit. Ou le bling-bling. Regardez-les s’agiter sur leurs GSM, partout, dans le tram, sur les trottoirs… Même aux toilettes, on entend moins péter, excusez-moi, que piip-piip, tagadam tsoin tsoin. Et plus ça clignote plus on se prend pour Superman, le moindre bidule vous a l’air d’un sapin de Noël. Faut dire que la pub en remet des tonnes, voyez-les tous à la télé, pour avaler un fromage blanc ils ont la danse de Saint-Guy. Du coup, tout le monde fait pareil, ça me rappelle l’époque où les gens sortaient d’un western avec les jambes arquées. Je vais vous dire, depuis qu’ils en farcissent les films à la RTBF, je ne la regarde plus, trop l’impression d’être pris pour un con. Lire la suite


« Il vit toutes ces figures et tous ces corps unis de mille façons les uns aux autres, chacun d’eux venant en aide à l’autre, l’aimant, le haïssant, le détruisant, procréant de nouveau ; dans chacun se manifestaient la volonté de mourir, l’aveu passionnément douloureux de sa fragilité et malgré cela aucun d’eux ne mourait ; mais se transformait, renaissait toujours […] Au-dessus d’eux planait quelque chose de mince, d’irréel, semblable à une feuille de verre ou de glace, sorte de peau transparente, valve, moule ou masque liquide, et ce masque souriait […] Ce sourire de l’Unité du flot des figures […] au-dessus des milliers de naissances et de décès. » Lire la suite


Je viens d’arrêter la voiture sur le parking du personnel. Pour la rentrée, j’aurais préféré un vrai temps de demi-saison, entre bruine et pluie, au lieu de quoi nous bénéficions d’un superbe été indien, du jamais vu. Je dis « nous » et je le regrette déjà. J’ai du mal avec ce « nous », car je pense aussitôt à Claire et la boule gonfle aussitôt au fond de ma gorge, un poids de plomb en fusion me déchire l’estomac. Au même instant, mon esprit se vide, je n’ose pas sortir de la voiture, tous les gens qui marchent autour, parlent, rient, avancent d’un pas décidé, flottent sur la toile d’un film où je n’ai plus aucun rôle. Et pourtant, moi, je suis encore au générique.

20 septembre, le temps ressemble plus à celui d’une session d’examens de juin qu’à celui d’une rentrée universitaire. La vingt-deuxième pour le professeur Renson, climatologue de réputation internationale. Dans son pays, on prononce son nom : « Renne-son » ; en France, « Rançon ». Il n’a jamais cherché à comprendre cette différence. Cela le faisait plutôt sourire, cette image d’une somme à monnayer en échange d’une libération quand il se trouve à l’étranger ou celle du cri d’un fier animal du Grand Nord canadien quand il est chez lui. La rançon du renne, cela pourrait faire un beau titre de film, songe-t-il, sans trop savoir pourquoi. Désormais, le professeur Renson n’a plus le goût de sourire. Il se demande plutôt comment il va pouvoir sortir de cette voiture, comment il va pouvoir se retrouver devant son auditoire. Lire la suite


Mesdames et messieurs, chers actionnaires,

Comme je vous le disais avant la pause, force nous est de constater que, malgré nos efforts, les coûts salariaux n’en finissent pas de grever notre chiffre d’affaires. Si je reprends la liste des énergies humaines encore employées chez nous — je ne reviendrai pas sur tous les postes évoqués ce matin, le dernier étant celui des guichetiers déjà remplacés par des automates. J’aborderai deux points. Un, les conducteurs de trains. Deux, les chefs de trains. N’êtes-vous pas lassés d’entendre parler d’erreurs humaines ? Comme s’il y en avait d’autres… La solution : une propre et nette informatisation du facteur « conduite » — précédée d’une saine déshumanisation, l’humain étant par trop fluctuant, aléatoire, faillible, inconstant, bref, non fiable. Lire la suite


Grâce aux injections Unisoft, j’ai dit adieu à mes rides.

Cosmétiques Unisoft, le secret de l’éternelle jeunesse !

Le scanner rétinien valida l’identité de Patricia Cornwell et déclencha l’ouverture des portes coulissantes.

Le chef programmateur l’attendait au milieu du grand hall de réception, les pieds sur le U du logo géant d’Unisoft qui s’étalait sur le pavage. Il arborait un large sourire.

— Cornwell, de la surveillance médiatique ? David Finch. C’est une bonne journée pour vous ?

— Excellente, merci, mais ne perdons pas de temps. Conduisez-moi. Lire la suite


Par être, il faut entendre paraître. L’adage est plus d’actualité que jamais. Il ne se passe rien aujourd’hui qui, si un profit quelconque est envisagé, ne se soucie de son image. 

Cela vaut pour les produits du commerce, comme de juste, mais aussi pour bien d’autres matières qui ne devraient pas être préoccupées par la question. Le tout s’inscrivant dans le principe de chosification, de mercantilisation qui est la tendance lourde de l’époque. Le marché absorbant tout, ses usages se généralisent. Et le plus important d’entre eux est ce qui s’appelait jadis la réclame, est devenu la publicité, et se résume aujourd’hui dans la com’. Lire la suite