Ce coup-là, c’est peu dire que les concurrents ne l’avaient pas vu arriver…

Ni partir. La redoutable machine de communication de la célèbre marque de cosmétiques était certes capable, après une étude approfondie des conditions du marché et en jouant de ses relais privilégiés, d’assurer à son nouveau jus une place de choix dans les magazines et dans les spots publicitaires à la télévision ou au cinéma, et ainsi s’inscrire dans une longue suite de succès. Mais pareil triomphe ? Ici, on dépassait de cent coudées les critères traditionnels des campagnes de marketing. Cela tenait quasiment de la magie ! En tout cas, c’est ce que soutenaient, quelques jours seulement après le lancement, des observateurs de toutes sortes qui s’étaient penchés sur le phénomène : ce parfum n’était pas composé seulement du subtil mélange d’essences ou d’extraits de plantes qui donnent son cachet à une fragrance. Il avait aussi capté l’air du temps ; et c’était bien cela que transportaient et répandaient les femmes autour d’elles. Lire la suite



À la mémoire de Jaime Semprun, mort le 3 août 2010.

Le Jaguëy, c’est un figuier des Caraïbes. Dans le miroir sphérique on le voit rôder à Bruxelles comme aux Cyclades. Il y rêve le jour et veille la nuit tourbillonnant parmi les myriades en fleurs où hier et demain se confondent aux yeux fous d’Habanaguana, son Eva de Cuba. C’est à elle qu’ira, purifiée par l’ordalie de l’eau et du feu, la parole de l’aède assassiné.

Voici l’heure venue, pour Atlas, de parler à l’univers.

Quel basculement s’est-il produit du globe sur son axe ?

Un être en est banni dont l’œil intérieur voyait le Tout du Monde. Créait un théorème interprétant le drame humain global. Qu’un aède grec emprunte le nom d’Atlas ou qu’il prête au titan sa voix, l’un et l’autre apercevaient un au-delà de l’horizon… Lire la suite


On pourrait tomber

Le vent qui charge aura tout emporté

Il ne reste plus que la terre

Et ceux qui n’ont pas pu monter

Pierre Reverdy, « En bas », in les Ardoises du toit

Il vient de Mars. De la Terre, on lui a dit monts et merveilles. L’envie d’aller y voir de plus près. Il atterrit sur cette planète bleue comme une orange, enchanté de l’excursion. C’est à l’aube, à l’orée d’une grande ville, une mégapole dont le chant de sirène l’a séduit à travers les espaces interstellaires. Lire la suite


À sept heures trente-cinq du matin, le ciel vaporisait sa bruine par-dessus les enchevêtrements de Ciné-City, et quand il franchit le portail vitrifié de l’imposant building d’Omnimedia, Jorge Luis Philby aurait dû avoir le teint livide, les gestes hésitants : c’est qu’il n’avait, comme à son habitude, pour ainsi dire pas dormi de la nuit, épuisant avec application la liste intégrale de ses bouges attitrés. Mais bon, les noceurs de sa trempe n’étant jamais pris de court, un comprimé de kinokaïne et une bouffée de benzium avaient suffi pour que tout s’arrange à peu près. Pour que, différents miracles chimiques s’étant accomplis, il retrouve sa démarche féline des grands jours : celle d’un sexagénaire qui ne fait pas son âge et qui défierait même le temps qu’il lui reste à passer en ce bas monde. Quoi de moins étonnant chez qui, investi comme lui l’est de la fonction de gérer l’actualité, a pour univers un éternel présent ? Lire la suite


— Bonjour, Monsieur le président.

— Bonjour, Madame, Messieurs. J’ai très peu de temps à vous consacrer. Je dois terminer le discours que je prononce au parlement demain sur l’état de l’Union…

— Bien sûr, Monsieur le président. Mais il s’agit véritablement d’une urgence. Nous avons un problème majeur pour la visite du président brésilien dans dix jours.

— Du président… ou de la présidente, je ne sais plus…

— Effectivement, c’est bien de cela qu’il s’agit.

— Comment cela ? Lire la suite


À la frontière franco-belge. Sur le parking routier, un combi de la police fédérale belge est garé en travers d’un long attelage composé d’une caravane familiale et d’une Star Chief rouge vif. Assis sur un assemblage de parpaings, un vieil homme observe sa famille éparpillée sur le bitume : trois jeunes enfants, deux femmes, deux hommes. Toute sa famille est réunie au milieu de nulle part dans la chaleur nauséabonde de ce parking où s’allient, pour le rendre plus détestable encore, les relents de mazout, d’asphalte, de graillon, d’urine. Lire la suite


Le 14 juillet 2020 à dix-sept heures trente GMT, un hélicoptère — insecte noir sur ciel rouge — atterrit au Village international de Ciergnon-la-Neuve, où ont lieu les Rencontres culturelles d’été. Stagiaires et animateurs assistent à l’arrivée d’Ida-Betty Moosh, fille du président Moosh II. Les drapeaux des Censuré, de l’Union européenne, DacMo, Caco Calo, Wilt Dasney, la Régie européenne des eaux, mécènes des Rencontres, claquent au vent. L’ambassadeur qui accueille en tant qu’ami la fille du président, surnommée dans sa profession IBM, lui fait remarquer que les couleurs de sa robe sont assorties à celles de l’Ardenne et à la lumière du Village. La jeune femme sourit discrètement. L’œil faussement distrait du balayeur, un helléniste belge recyclé, veille. Lire la suite


— Dis moi, papy, t’en connais beaucoup, toi, des homos ?

— Euh, oui… non… enfin quelques-uns : Elio, Pasolini, Oscar Wilde, Proust, que sais-je, pourquoi cette question ?

— Mais non, papy, qui te parle des gays ! Ce que je cherche, moi, c’est des homos du genre homo erectus, homo australopithecus, homo neanderthalensis.

— Ah oui, je vois, pourquoi tu veux savoir ça ? Lire la suite


Ilon Specht a aujourd’hui soixante ans et vit à Ojai, une bourgade au nord de Los Angeles, toute proche de Santa Barbara, qui passe pour un paradis sur Terre depuis que Frank Capra y tourna Lost Horizon en 1937, et où elle tient Hacienda Antiques, une boutique qui fait dans le vintage colonial espagnol et pour laquelle elle a inventé un joli slogan : « Just listen to how quiet it is ». D’elle, pas une photo sur le net qui nous fasse connaître ses traits. Un choix, sans doute, dans cette Californie des harders et de JCVD. Lire la suite