Lisa, pourquoi reviens-tu ?

L’e-mail de confirmation transmis par Lisa s’affiche sur l’écran, entre deux fenêtres de code défilant à vive allure. Pendant qu’une moitié de son cerveau observe les sauts d’exécution du logiciel en mode de débogage, l’autre moitié médite le sens du message et fait silence Lire la suite


Évocation anthume d’un certain D.T.

Éléphant politique dont le sexe et

La trompe gavent un public

Conquis d’avance…

Le Covent Center d’Athens (Georgia) est bondé pour accueillir la vedette du jour : Dumbo Tramp venu tel qu’en lui-même — c’est-à-dire en représentation — et annonçant d’emblée le ton de sa campagne. Lire la suite


En avons-nous passé d’inoubliables moments, mon gentil lama, sur ce sommet pelé des Andes, au-dessus des nuages languissant dans les vallées, emprisonnés par les cirques montagneux…

Curieux de tout, tu es venu vers moi, au moment où je déboulais sur un sol rocailleux, chiche en végétation, le ciel glacé, le vent fantasque. Tu m’as dévisagé, tes longs cils papillonnant, puis tu as pris le galop. Désirais-tu une vue d’ensemble ? Lire la suite


Amoebas are very small

Oh ah ee oo there’s absolutely no strife

Living the timeless life

I don’t need a wife

Living the timeless life

If I need a friend I just give a wriggle

Split right down the middle

And when I look there’s two of me

Both as handsome as can be

Oh here we go slithering, here we go slithering and squelching on

Oh here we go slithering, here we go slithering and squelching on

Oh ah ee oo there’s absolutely no strife

Living the timeless life

A Very Cellular Song, Mike Heron, 1968

Il est des créatures minuscules, en tout et pour tout formées d’une unique cellule, qui pourtant quand la terre se change en un cachot humide, s’agrègent par cent mille en un organisme accompli pour se mettre en marche en quête de lumière. Cette capacité à se transformer, à répéter pour soi l’évolution depuis la vie égoïste de l’unicellulaire jusqu’à l’union orientée vers un destin commun des êtres pluricellulaires intrigue les savants comme elle nous fascine. Les premiers ont baptisé ces créatures Dictyostelium discoideum, des mycétozoaires à la croisée entre les animaux et les champignons ancestraux. Pensant qu’ils nous inspireront mieux, ils disent parfois simplement des protistes, comme si les Dd. vénéraient Protée, le vieux dieu maritime doté du pouvoir de se métamorphoser. Mais pour nous qui ne possédons ni latin ni grec, qui n’avons conservé que les débris des vers décadents de Baudelaire et Verlaine, pour nous qui nous amusons déjà de tout qui grouille ou qui rampe, ces petites vies peuvent bien être des amibes sociables. Lire la suite



Julien allait avoir six ans quand le peuple entra dans son âme et dans son cœur. Sa grand-mère faisait partie de la chorale paroissiale et l’emmenait à toutes les répétitions. C’est donc quelque temps avant Noël qu’il entendit dans ce qui était le chant préféré de l’époque :

Peuple à genoux, attends ta délivrance

Noël, Noël ! Voici le rédempteur. Lire la suite


Mamy, mon arrière-grand-mère, avait beaucoup de temps parce qu’elle était très vieille. Sur ses mains, il y avait une rouille de taches brunes qu’elle considérait sans illusion. « Ce sont de vieilles mains », soupirait-elle. Mais elle montrait avec orgueil ses fines jambes de jeune fille, et tendait le cou-de-pied pour marquer le mollet. Tout ne s’use pas autant en traversant la vie. Ses yeux, par exemple, étaient inégaux. Je le voyais aux lunettes. Un des deux verres était dépoli comme une vitre de salle de bains. Du côté de son œil qui pleurait. Mais l’autre œil était un œil d’aigle avec lequel elle me fixait intensément. Un œil très noir qui n’en finissait pas d’interroger la vie. Lire la suite


« La nuit était tombée à genoux sur la ville et le givre avait glacé ce qui grouillait il y a peu. De ses épaules frissonnantes, la neige voletait dans l’ombre de sa masse assoupie. Les lampes s’éteignaient dans les glacis à l’orée des avenues et des immeubles. Un coulis de fatigue glissait dans les ruelles jusqu’à chaque foyer.

Aujourd’hui, vu passer des enfants de la première neige, malhabiles comme des canards sur un étang gelé. J’ai retrouvé à l’instant le souvenir de cette expérience de déséquilibre heureux devant ces jeunes anges colorés dans le matin blanc… Les mères marchent les bras ouverts en balancier sur la première neige des trottoirs, elles sont prêtes à la chute mais avancent en glissant lentes et incertaines un sourire aux lèvres. Lire la suite


Il vient de faire sa rentrée fracassante dans le grand rapport social. On le croyait dissous dans une indéfinissable masse qui n’avait d’autre droit que d’être consultée, à intervalles variés selon les calendriers institutionnels, par un système qui ne se référait à lui que par convention. Aussi longtemps qu’il s’est conformé à ce rituel selon les règles lentement ajustées au fil du temps, en respectant des pointillés implicites qui avaient cherché avec prudence à ne bousculer l’ordre convenu qu’en ne débordant pas les limites prévues, ce mécanisme a donné satisfaction. Le peuple, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a accompagné de la sorte un demi-siècle de tranquillité relative dans la partie du monde qui avait maté la majorité des territoires qui lui étaient extérieurs avec un procédé d’annexion qui avait pour logique celle du colonialisme. Lire la suite