Parce que j’adore Lolita et parce que je n’aime pas Lolita.

Parce que le roman de Vladimir Nabokov est un chef-d’œuvre et parce que le film de Stanley Kubrick n’est pas une œuvre réussie.

Parce qu’il n’y a pas de livres mineurs chez Nabokov et parce qu’il y a des films manqués chez Kubrick. Lire la suite


L’un : Ce n’est pas une douleur, non, pas vraiment, ni une souffrance, plutôt un mal, le Mal, le fameux Mal dont j’entends parler depuis que je suis en âge d’entendre parler de ça, ce truc terrible qui remonte à Adam et à Ève, la vieille culpabilité d’être, le Mal absolu qui, pour le coup, a frappé la Belle Gigue, le pays des danses tordues et des pas de côté et de travers, le vieux sol des cons promis et des cons descendants, la Saloperie Suprême, et c’est si affreux, si pénible, si moche, si dur, si cruel, si barbare, si poignant, si tuant, si dégueulasse que je ne sais pas, que je ne sais plus comment il faut appeler ça ! Lire la suite


Je venais à peine d’achever ma manœuvre sur le parking du Centre commercial de la Cense que le slogan m’a comme sauté au visage.

2 500 euros en une heure.

Je me suis extirpé de ma vieille Nissan Sunny toute cabossée et j’ai marché vers la vitrine sur laquelle ces mots avaient été peints en grosses lettres jaunes. C’était une agence de prêts et de crédits. Elle ne devait pas être installée depuis longtemps car, la dernière fois que j’avais garé ma voiture dans les parages, il y a cinq ou six semaines, l’emplacement était, me semble-t-il, occupé par une laverie automatique. À moins que ce ne fût une boutique de fringues. Ou une crêperie. Ou un snack. Ou même rien… Difficile à dire. Les commerces changeaient tellement à Hannut, d’un mois à l’autre, que j’avais souvent du mal à m’y retrouver… Lire la suite



Alors comme ça, tu tiens à savoir quand mon histoire avec Simenon a commencé ? Parce qu’évidemment tu es persuadé qu’il y a un commencement précis à cette désormais longue et passionnante histoire. Tu te dis : pas de commencement, pas de verbe. Eh bien, mon cher, je vais sans doute te surprendre : pas quand j’étais ado et que déjà je dévorais tout ce qui me tombait entre les mains et qu’en même temps, la tête en feu, j’écrivais des tas de choses, contes à ne pas lire la nuit et poèmes d’amour fou, petits romans pleins de mystères et journal intime débordant de rage.

Non, beaucoup plus tard, des années après, 1965 ou 1966, à Louvain, Louvain-Leuven. Dans les vieux bâtiments du Faucon, si tu vois ce que je veux dire. Lire la suite


Il est l’heure venue de dévêtir le Temps…

Hubert Juin, Les Guerriers du Chalco

2002. Donc, ce siècle a deux ans et moi, pauvre de moi, j’ai l’âge de mes tourmentes – des décennies de rêves et de désirs pétrifiés, des tombereaux et des tombereaux de littérature mal équarrie. J’ai l’âge des livres que plus personne ne lit, des pages fulgurantes que plus personne ne parcourt, des vers suaves et bruissants que plus personne ne récite, des strophes aériennes que plus personne ne chante. Lire la suite


Petko Minkov dont je ne connaissais que la voix traînante au téléphone m’avait dit

Vous verrez, Sofia est une ville exquise, quelque chose de bigarré et de méridional, un bout d’Italie égarée à l’Est, vous aimerez sûrement, vous aurez tôt fait de vous y sentir à l’aise – et les femmes, les femmes bulgares, sont tellement, tellement belles Et c’est à ses paroles que je pensais, tandis que l’avion où j’avais pris place traversait en grondant d’énormes nuages noirs et que le type qui se tenait à côté de moi, un grand blond style arsouillé, n’arrêtait pas de fredonner un air de valse viennoise et de taper dans les mains Lire la suite


Qu’il y a loin, entre l’imagination et le fait !

André Gide, Les Caves du Vatican

L’idée de commettre un crime gratuit était venue à Frédéric Chenal à la lecture des Caves du Vatican. Il avait lu le livre d’André Gide à de multiples reprises et, chaque fois de plus en plus fasciné par le curieux personnage de Lafcadio Wluiki. À cet assassin imaginaire, il ne reprochait en somme qu’une chose : ses remords, ses tourments d’avoir tué un inconnu. Il était sûr que lui, il n’en aurait aucun lorsqu’il finirait, tôt ou tard, par passer aux actes.

Cela devait avoir lieu, comme dans le livre, à bord d’un train, quelque part en Italie. Et il n’y aurait personne, personne, susceptible de le confondre un jour. Lire la suite


Vous me demandez, cher et vénéré ordonnateur, de parler de l’odyssée de l’espèce, au seuil de ce nouvel âge. J’ai la certitude que vous ne vous adressez pas à moi par hasard. Vous savez sans nul doute que je suis une sommité en cette matière très délicate et que tout le monde ne cesse de me consulter, eu égard à mes innombrables travaux qui m’ont valu depuis des décennies la gloire, la considération et, je ne le nie pas, la fortune. Je viens d’ailleurs d’apprendre, de source Scandinave sûre, qu’on est sur le point de m’attribuer le prochain Nobel. Le prix manque effectivement à mon copieux palmarès, moi qui ai déjà reçu le Gandhi, l’Érasme, le Charles-Quint, l’Einstein, le Bolivar, le Lincoln, le Laurel et Hardy, l’Allais et le Simenon ainsi qu’une foule d’autres distinctions moins universelles, moi qui suis docteur honoris causa de quarante-sept universités à travers les cinq continents, moi dont le nom figure désormais en bonne place dans tous les dictionnaires et toutes les encyclopédies, moi qui ai été l’ami très intime de Nabokov, de Burgess et de Kubrick et qui aurais pu être celui, tout aussi intime, de Schnitzler et d’Orwell s’ils avaient vécu un âge canonique ou si, de mon côté, j’étais né beaucoup plus tôt. Lire la suite