Delavacherie. Maurice Delavacherie.

S’il y avait bien un nom que Maurice Delavacherie ne pouvait pas sentir, c’était le sien. Et cela avait commencé à l’école, dès son plus jeune âge… À l’époque déjà, tout le monde se moquait de lui. On l’appelait la Vache, le Vachard, la Vacherie, la Vachette, Peau de Vache et même Tête de Veau, ou encore le Vachin, un mot qu’il n’avait jamais entendu et qu’un certain Victor Jung, un condisciple beaucoup plus déluré que les autres, avait aussitôt transformé en Vagin… Lire la suite


Stéphane Ray est né à Bruxelles et il y habite depuis cinquante-sept ans, mais c’est la toute première fois de sa vie qu’il va mettre les pieds au Rugantino, le restaurant italien du boulevard Anspach, à deux petits pas de la place Fontainas. Il doit y déjeuner avec un vieil ami d’enfance, Gino Deledda, lequel travaille à la direction commerciale de Barilla Belgio et s’enorgueillit d’être apparenté à la romancière Gracia Deledda, la lauréate du prix Nobel de littérature en 1926. Lire la suite


Mortalité

Tous les hommes sont mortels, mais certains sont plus mortels que d’autres. Par exemple, Florian est plus mortel que Fontenelle, Bellini plus mortel que Verdi, Rimbaud plus mortel que Verlaine, Radiguet plus mortel que Cocteau ou encore James Dean plus mortel que John Wayne.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Florian est mort plus jeune que Fontenelle, Bellini plus jeune que Verdi, Rimbaud plus jeune que Verlaine, Radiguet plus jeune que Cocteau et James Dean plus jeune que John Wayne. Lire la suite



Gaston Grappe, voilà le nom de celui dont je vais vous parler, un type dans la cinquantaine, grand et mince (pas un millimètre de graisse), genre beau mec, les cheveux couleur de lin grisonnants, toujours tiré à quatre épingles, toujours très classe, Armani ou Smalto, impossible de ne pas être frappé par son allure extrêmement distinguée et la douceur de ses traits.

À l’époque où j’ai fait sa connaissance, il venait de se lancer dans la restauration, un nouveau concept, affirmait-il, une sorte de snack cent pour cent bio, des petits plats simples, laitue, tomate, carotte râpée, lentille, aubergine cuite à l’eau, salade de thon, sardines à l’huile d’olive, saumon fumé, poulet froid, fruits de saison, jamais de viande (jamais de carne, comme il disait), pain aux céréales, le tout servi dans un décor 7, en par de très jolies filles.

Son premier snack, ironiquement baptisé Au Sain Plat, Gaston Grappe l’avait ouvert galerie Louise, entrée place Stéphanie, un succès presque immédiat. Et moins d’un an plus tard, il y en avait eu un deuxième, dans une autre galerie bruxelloise, place du Grand-Sablon, un endroit agréable ouvert toute la semaine à midi, y compris le dimanche et les jours fériés. Lire la suite


Croyez-moi, le terme, c’est un joli casse-tête. Allez donc savoir ce que cela signifie au juste ! La fin de quelque chose – celle d’une course, d’un voyage, d’une négociation commerciale ou politique, d’une maladie ou de la vie tout court ? Ou l’expiration d’un temps précis pour effectuer un payement (« le terme, dira-t-on, est échu ») ?

On parle de termes (au pluriel) à propos de bail (les termes d’un loyer) ou à propos de marine (il s’agit en l’occurrence des deux pièces de bois qui forment les angles du couronnement, à l’arrière d’un grand navire). En algèbre, les termes d’un polygone sont les quantités séparées par les signes + (plus) ou – (moins), alors qu’en arithmétique et en géométrie les termes d’un rapport, d’une proportion, d’une progression, sont les quantités comparées.

On dit aussi que dans chaque proposition on trouve deux termes, le sujet et l’attribut, mais que tout syllogisme, lui, en contient trois, le grand, le moyen et le petit. De même, il est parfois question dans le vocabulaire de la théologie et dans celui de la philosophie de « complexion des termes », c’est-à-dire la connaissance des rapports entre les termes. Lire la suite


À Jean-Pierre Croquet

— Jusqu’ici j’ai limité mes enquêtes à ce monde.

D’une manière modeste j’ai combattu le mal ; mais m’attaquer au diable en personne pourrait être une tâche fort ambitieuse.

Arthur Conan Doyle, Le Chien des Baskerville

Mes fidèles lecteurs se souviennent peut-être que dans un des récits que j’ai consacrés aux exploits de Sherlock Holmes, Le Dernier Problème, je note au passage que nous avons, lui et moi, séjourné deux jours à Bruxelles. Venant de Newhaven, nous nous rendions alors à Strasbourg.

Je n’ai jamais dit ce que nous avons fait dans la bonne capitale du royaume de Belgique. La raison en est très simple : nous y avons été mêlés malgré nous à une affaire tellement étrange, tellement ahurissante, que je n’ai jamais osé la raconter, de peur de passer pour un affabulateur et de donner de Sherlock Holmes l’image d’un piètre détective. Si je sors aujourd’hui de mon silence, c’est parce qu’un mystérieux incendie a ravagé la semaine dernière la maison du drame, 7 rue des Sept Étoiles, au nord de la ville, et que les articles que j’ai lus à ce propos dans la presse belge m’ont paru des plus fantaisistes. Lire la suite


Monsieur le juge,

Je vais tâcher de vous dire ce que je pense de l’affaire Immototal que vous instruisez et dans laquelle est compromis Frank Joris, ce grand homme d’État dont je me targue d’être non seulement le principal conseiller politique, mais aussi, de longue date, l’ami et le confident.

Ce ne sera pas commode, j’en conviens, l’illusion de la réalité étant trop souvent plus forte, plus prégnante, que la réalité elle-même. Lire la suite


Jean-François Philips a quarante-deux ans. Il est marié (sa femme se prénomme Jeannette), il a deux filles de neuf et de sept ans (Marceline et Louise) qu’on qualifie en général de charmantes, mais qui ne le sont guère, il a mené à bien des études d’ingénieur commercial à l’ICHEC à Bruxelles et il travaille chez Claes & Claessen, une grosse agence immobilière située avenue de Tervueren, à deux pas de la maison Stoclet. Lire la suite


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En consultant la Jaeger-Lecoultre Reverso qu’il portait à son poignet gauche, Henri Vigneron constata qu’il était déjà sept heures du soir et qu’il était temps de fermer sa petite librairie, Le Bateau ivre, square Paul-Painlevé.

Finalement, se dit-il, la journée aura été bonne. Surtout après la visite, aux alentours de midi, de deux bibliophiles hollandais, à la recherche de livres publiés en langue française par Alexandre Stols, à Maestricht. Il leur avait vendu Narcisse de Paul Valéry, tiré seulement à trente-huit exemplaires, et La Philosophie du livre de Paul Claudel, et leur avait proposé de revenir le lendemain, vu qu’il gardait chez lui, dans son appartement de la Butte-aux-Cailles, quelques Valéry Larbaud introuvables. Lire la suite