« Et pourtant, ils sont largement tolérés, quand ils ne sont pas annoncés par la presse. Un article du Courrier de Memphis, en 1921, prévient les lecteurs : « Lynchage possible de trois à six nègres ce soir ». Les forces de l’ordre n’interviennent pas, complices ou débordées. Quant aux lyncheurs, souriants sur les photos de l’époque, les enquêtes n’aboutissent jamais, leurs auteurs étant invariablement définis comme « un groupe d’hommes non identifiés ».

Foi de quidam, Rolle (nom d’emprunt) ne s’était pas attendu à un tel déferlement. Lire la suite


« Le monde pourrait bien regretter le moment historique où, face au choix posé par Rosa Luxembourg : socialisme ou barbarie, il s’est décidé contre le socialisme » (Eric J. Hobsbawm, Franc-tireur, une autobiographie)

« Intellectuellement parlant,  l’idéologie libérale est devenue aussi stimulante que du mobilier de motel : on peut tenir le coup une nuit à condition de ne pas avoir à s’attarder là le lendemain » (Norman Mailer)

1. Chasser le naturel

Le débat était d’abord resté dans les limites communément admises de la courtoisie. Quelques experts avaient été réunis autour d’une question : « Le business plutôt que la politique : une foi aveugle ? », que l’animateur avait introduite en ces termes :

— Des enquêtes et des études, dans de nombreux pays, montrent que les jeunes de 20 ans préfèrent « faire du business » que « faire de la politique ». Doit-on y voir le signe que le marché a gagné une fois pour toutes les consciences ? A l’heure où le néolibéralisme et le système financier international accumulent les succès, y a-t-il encore place pour une contestation du capitalisme ? On en débat ce soir, en direct, avec nos invités… » Lire la suite


La scène est à la Maison Blanche.

— Mister President… (grand sourire contraint) George… Double you…

Ya… (il claque sa main dans le dos de son hôte qui, lui, reste la main tendue dans le vide.)

— Ya ? Que… ? Ah oui ! Double ya… À la texane. (En sourdine) Que me vaut l’honneur de rencontrer mon prédécesseur ? Lire la suite


Tandis que, en Belgique, pour ce qui regarde la disparition ou non de ce pays, la suite des événements s’était intégrée à la droite ligne de tout ce qui avait précédé, puisque là, comme une fatalité, l’écheveau à défaire n’est en rien différent du nœud coulant qu’on fait, le monde avait continué à tourner. Pas mieux, comme on peut s’en aviser chaque matin. Mais il faut aussi convenir que les enjeux de cette marche obstinée étaient tout de même d’une autre envergure que ces sempiternelles querelles de nantis.

À vrai dire, à cette échelle, on sentait bien que l’on vivait une de ces périodes, assez rares dans l’Histoire, où un basculement majeur s’opère aux yeux de tous et révèle, comme un motif de moins en moins dissimulé dans le tapis, un grand nombre d’aspects de ce que seront la société future et la vie qu’on y mènera ; l’une de ces périodes, encore plus rare en vérité, où la notion même de « défi » devait être révisée de fond en comble, tant ceux qui sont à relever maintenant revêtent, par leur ampleur et par leur accumulation, un caractère largement inédit et qu’il faut bien qualifier de supra humain. Lire la suite


Sur le strict plan de l’agenda et de la méthode, l’hospitalisation récente d’Yves Leterme, l’ancien formateur ayant fait deux fois chou blanc et pressenti pour diriger enfin le gouvernement fédéral après le 23 mars 2008 (pour autant qu’il parvienne cette fois à le bâtir au sortir de sa convalescence), ne changeait rien. Certes, on ne l’entendrait plus pendant quelque temps balancer au vol aux journalistes que « je travaille à des solutions » avant de se presser et de prendre la tangente (la fixité ?) dans un couloir du Parlement : mais, de ce point de vue, était-ce une si grande perte ? Mais il reviendrait, bien sûr, et probablement avant la date limite ancrée dans tous les esprits : d’ailleurs, il recevait déjà quelques visiteurs dans sa chambre, pour « parler politique ». La vague réflexion, brièvement engendrée par sa défaillance physique, sur « la vie de fou » que les politiques doivent mener au nom de leurs convictions et du service de l’État, ne serait donc pas poussée plus loin, faute de temps et sans doute de réelle volonté de dételer. Quant aux « petites phrases assassines » et autres « attaques personnelles » entre les étranges « partenaires » de l’équipe provisoire de Guy Verhofstadt, et que quelques-uns avaient désignées comme les causes principales qui avaient mis Leterme sur le flanc, personne ne pouvait douter qu’elles reprendraient droit de cité, dès lors qu’il s’agirait de donner enfin à la Belgique le gouvernement définitif qu’elle attendait depuis neuf mois. Lire la suite


« En 1964, rappelait naguère Adrian Searle, le critique du Guardian, Jasper Johns a visité le château de Windsor pour voir les dessins que Léonard de Vinci a consacrés au Déluge. Johns nota alors : Voici un homme qui a décrit la fin du monde, et sa main ne tremblait pas. »

Désormais, Wellens ne tenait plus trop à rentrer au pays. Il s’en était dégagé aux alentours du deux centième jour sans gouvernement fédéral, pour des motifs qui n’avaient en apparence rien eu à voir avec la longueur de ces négociations. Mais il est vrai que cet étirement inédit l’avait incité à mettre au net ses rapports avec la terre nourricière et à décréter que, présent ou pas, il lui fallait maintenant prendre ses distances avec elle. Par ailleurs, la constance avec laquelle les éditorialistes de tous les journaux, toutes communautés confondues, clamaient : « Assez, c’est assez ! », jour après jour, pour appeler à la constitution rapide d une nouvelle équipe, tout en incitant les uns ou les autres « à ne plus bouger d’un centimètre », ne l’inclinait pas non plus à en reprendre le chemin. Lire la suite


La dernière mouture de son récit semblait enfin convenir à Wellens. N’étant pas un fétichiste des variantes consignées sur des brouillons de toute façon à peu près illisibles à force de ratures (bref, ne voulant laisser aucune trace de ses remords à ses éventuels exégètes), il s’était prestement débarrassé des six versions précédentes. Et maintenant, il éprouvait à nouveau ce sentiment indicible, d’avoir atteint le point d’équilibre qui fait qu’un récit ne peut plus être modifié : ce point où il faut se convaincre que ce sont les mots qui sont écrits là, et eux seuls, qui conviennent à ce récit, à l’exclusion de tous les autres. Cette interrogation – portant moins sur l’obtention d’un tel équilibre que sur les raisons qui lui faisaient adopter, à un moment donné, une certaine trajectoire plutôt qu’une autre pour y aboutir – était une constante des travaux de l’auteur ; en même temps, il devinait qu’il ne pourrait jamais en donner une explication satisfaisante. Tout au plus en rendre une image : à ce point où il semblait flotter en l’air, comme suspendu dans une sorte de forme épurée, le récit, pour Wellens, était comme un palindrome, lisible dans chaque sens, et auquel on ne peut ôter aucune lettre – et ainsi, pour l’écrivain, aucun mot – sous peine de le rendre incompréhensible et inopérant. Lire la suite


Quand la police divulgua les pièces qui allaient mener à l’affaire retentissante que l’on sait, c’est pieu de dire qu’elle n’avait jamais vu cela. Pour faire court, personne n’avait même encore rencontré des documents de cette sorte.

Tout en demeurant d’une grande prudence (due autant aux équilibres à respecter entre les trois branches du pouvoir qu’à une sorte de réticence à exposer publiquement des affaires où une huile était mêlée, le porte-parole du Parquet de Bruxelles n’avait pas opté pour les termes les plus mesurés et les plus neutres possible en fournissant ses premières explications. D’ailleurs, dans ses propos off, il était resté dans la même teneur d’expression, évitant même d’en rajouter, tant le simple exposé des faits suffisait, comme l’entendirent bien ses auditeurs, à faire ressortir les troublantes pratiques et le parfait cynisme du principal protagoniste. Lire la suite


Le dernier rêve de Danglars ne lui avait pas semblé de bon augure, et, depuis lors, il ne parvenait pas à s’y soustraire. En dépit de la brume qui recouvrait son esprit, et des fantômes dont il tentait vainement de cerner les formes, il avait vite saisi que sa visite à Chérel ne produirait pas les dividendes qu’il en escomptait. L’ingénieur ne s’était guère embarrassé de précautions oratoires pour lui annoncer qu’il renonçait à concevoir le prototype réclamé. Aux tentatives de Danglars d’infléchir sa position, en lui faisant miroiter les énormes bénéfices attendus de l’opération, Cherél avait rétorqué, inébranlable : Lire la suite


On restera sans doute incrédule à cette évocation : mais une fois écartés les décombres du temps, sous lesquels il est resté trop longtemps enseveli, il faudra bien en convenir. Yves Van Cutsem a été l’un des principaux théoriciens et utopistes apparus et mûris à l’orée des années 50. Bien sûr, si l’on s’en tient (ce qui, de nos jours, n’a évidemment rien d’insurmontable) à ne traiter que superficiellement le sujet, on rétorquera : qui ? qui a été quoi ? – et l’on estimera ainsi avoir vidé la question. Bien sûr que non ! Lire la suite