Dans Le Cas de figure, paru en 1995, j’écrivais ceci :
Dimanche
Pour Hugo
Les Villes flamandes évoquent toujours, pour moi, la quiétude de ces dimanches où, sur une table recouverte d’une lourde nappe en coton, j’ai joué si souvent, nanti de quelques jetons pour miser, des parties de cartes avec mon grand-père, enveloppés que nous étions dans l’épaisse fumée des cigares. Des voisins coupaient des tranches de pain d’épices ou déposaient des tasses de riz au lait, qu’il fallait mélanger avec de la cassonade et accompagner d’un grand bol de café brûlant.
Ce temps-là s’est enfui, lui aussi. Mais cette table, cette nappe, ces jetons, ces cartes, ces tranches de pain, ce riz, cette cassonade, ce café continuent leur office en moi, comme si ces Villes et cette quiétude n’avaient jamais changé, ou que mon grand-père et ses voisins n’avaient pas disparu. C’est l’odeur et la mémoire qui me saisissent chaque fois que je vais dans ces Villes ; et c’est grâce à elles que les mots de cette langue, jamais complètement oubliés, me reviennent quand je recommence à parler là-bas. Avant que mon grand-père ne meure sur son lit d’hôpital (aussi un dimanche), il m’a simplement fait comprendre, dans un respectueux silence, de lui donner un cigare. Je l’ai allumé et le lui ai tendu. Peut-être a-t-il été jusqu’à la seconde bouffée, mais je n’en suis pas sûr. Je l’ai allumé et le lui ai tendu. C’est une forme de fidélité dont je veux toujours être capable. Lire la suite →