En hommage à Benjamin Rabier, dessinateur de grand talent

à qui l’on doit une illustration malicieuse

des « Fables » de La Fontaine

ainsi que le museau hilare

de « La vache qui rit »,

à Jean Cocteau, qui fit autrefois les beaux soirs du « Bœuf sur le toit » et à Jean Dubuffet qui a mis à brouter des vaches folles

dans tous les musées d’Europe et d’ailleurs.

 

Fermiers, bouchers, équarrisseurs,

les voilà tous qui se lamentent :

Le peuple renie ses fournisseurs

Et veut qu’on le mette à l’amende.

Veaux, vaches, cochons, couvées,

Comme les poissons de la marée,

Sont boudés au marché. Lire la suite


Encore un peu de tofu ?

Va’z s’était levé, s’affairait dans la cuisine, donnait ses instructions vocales aux ustensiles : Réchauffer tofu trois secondes. Épaissir nussa. Griller tomaïs.

Liane le regardait faire en souriant. Depuis un an, le rituel s’était instauré, et pour rien au monde elle n’aurait renoncé à ces vendredis soirs où à deux ils refaisaient l’univers. Elle sentait qu’ils étaient arrivés à un moment clé de leur histoire, mais elle était toute attente : elle ne savait rien des gestes ni des mots de l’amour.

— Pour le dessert, j’ai trouvé du lait, dit-il d’un air triomphant en se rasseyant en face d’elle à la table triangulaire. Lire la suite


À cinquante-six ans, la santé de Paul Tumelaire était bien chancelante. Il souffrait du cœur. Son médecin lui avait conseillé d’arrêter ses activités… « Remettez vos affaires, le temps est venu pour vous de vous la couler douce ! » Voici deux ans, il avait perdu Irène lors d’un accident de roulage. Dérapant sur le verglas, sa voiture avait dévalé un talus et fait plusieurs tonneaux avant de s’écraser contre un arbre. Il aimait beaucoup sa femme et il ne s’était jamais remis de cette épreuve. Il avait perdu le goût de vivre et, si quelques amis ne l’avaient pas entouré de leur sollicitude, il n’aurait sans doute pas tardé à rejoindre la morte dans sa tombe. Lire la suite


D’un mouvement délicat de l’index, qui s’était déplacé en arabesque au-dessus du poêlon, Roberto – dit « les doigts d’or » au temps de sa splendeur – goûta avec délectation la sauce qu’il venait de lier. Il y ajouta un filet de citron. Même s’il concoctait ses recettes avec la même inquiétude que s’il s’était agi d’un cocktail Molotov, il retrouvait un plaisir intact, entier, une intime exaltation de marier les victuailles, les parfums, les arômes, les couleurs, les formes. Ces quelques gouttes de citron se faufilaient comme une touche de couleur dans un tableau : elles donnaient du relief à l’ensemble, lui apportaient une touche jaune de mystère. Les amis de Roberto s’étaient rassemblés en grand secret dans la pièce voisine et simulaient une réunion anodine qui ne permettait pas d’imaginer la raison première de leurs retrouvailles. Ils avaient été triés sur le volet, de crainte qu’un traître ne se glissât parmi eux. Roberto versa la sauce onctueuse, douce comme le velours, sur la peau dorée et encore crépitante de la caille. Lire la suite


Je me suis longtemps exprimé, naguère, sur ce qu’il convenait de penser de la vache[1]. En résumé : rien du tout.

Pour le veau, on pourra penser la même chose, mais en plus petit.

Il est déconseillé de rassembler les cochons et les couvées, cela salit les nichoirs en éberluant la volaille.

On trouve d’admirables couvées dans la région du lac de Virelles.

Je m’en tiendrai là pour cette fois. Allez en paix, et que les compilateurs d’ysopets vous protègent.

[1] In : Des vaches et d’autres, La Louvière, Daily Bul, 2000, pp. 105-106.


« Chaque plat a son apogée d’esculence. » Bon début. Ça rime avec excellence, j’aime bien les rimes, c’est joli, mon kiki. Notre amour aussi a son apogée d’esculence, et c’est ce soir. Rien n’est trop beau pour Pauline, pas même le faisan à la Brillat-Savarin. Enfin, une poule faisane, c’est plus tendre; mais élevée en plein air, c’est plus éthique; au maïs labellisé français de chez France, c’est plus civique et ce n’est pas transgénique. Au moins 20 cm2 de liberté par animal, c’est écrit sur l’emballage. C’est sage : plus ça court, plus c’est dur. Bon équilibre entre morale et succulence. Ça devrait être bon, mon colon. Rien n’est trop beau pour le grand amour de ma vie. Lire la suite


Si quelque chose est dit sur la nature, alors ce n’est déjà plus la nature

Ch’eng Hao (1032-1085)

 

En ce temps-là, l’homme ne mourait pas à cause de l’homme, mais dans les mains de la Nature : le feu, le froid, l’obscurité, la faim, la vieillesse, les maladies indomptables et, surtout, les bêtes sauvages tuaient beaucoup plus souvent que la guerre.

Aussi l’animal-qui-parlait considérait-il tout simplement la Nature comme un ennemi mortel. Mais il refusait de se l’avouer, car son but suprême était d’être aimé des dieux. Et même les plus vieux sages étaient incapables de dire quelle différence séparait le mot « divinité » du mot « Nature » : y en avait-il seulement une ?

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