Le vélo est un appareil sanitaire d’usage externe qui est employé principalement comme antidote de la marche à pied.

Paul Colinet. Le vélo

J’estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, post posant cette liaison nationale à l’universelle et commune.

Montaigne, Essais

Nestoras Rokiskinaitis avait fait ses classes sur les routes lituaniennes, de Klaipeda à Vilnius et de Kaunas à Kupiskis, en poussant fréquemment jusqu’à Daugavpils, en République Socialiste de Lettonie. Mais avant même d’être retenu dans le cadre de l’équipe junior du district, puis de la république, puis de l’URSS, il sillonnait les chemins de sa région natale dès l’âge de dix ans sur le vélo de son frère Vytautas, son aîné de neuf ans.

À dix-huit ans, Vytautas était un athlète prometteur, il savait qu’il avait un bel avenir de sportif mais hésitait entre le cyclisme et le football, car ses dons étaient manifestes dans les deux disciplines. Hélas, cette carrière avait été fauchée en plein essor. Ou plutôt c’étaient les deux pieds de Vytautas qui avaient été fauchés par un train dans la petite gare de Varéna. Vytautas, qui avait un peu abusé des boissons fortes après un match victorieux dans la banlieue de Vilnius, était descendu avant l’arrêt du train, il avait vacillé, glissé sur le quai et ses deux chevilles avaient servi de frein ultime au tortillard. Remarquez qu’il y avait des précédents intéressants : dans la République Populaire voisine, un grand acteur de cinéma nommé Cybulski avait, un vilain jour, perdu la vie dans les mêmes conditions alcoolisées en voulant monter dans un train qui démarrait en gare de Varsovie. Vytautas, lui, avait eu plus de pot mais il avait dû se résoudre à gagner sa vie avec ses dix doigts, ce qui n’est pas toujours le pied. Lire la suite


Ne nous dispersons pas par toute la terre, construisons-nous une ville, avec une tour qui pénètre les deux. (Gen 11, 4.) Ainsi bâtirent-ils l’Atomium et Dieu, mécontent de l’arrogance humaine à prétendre s’approcher de lui, mécontent peut-être que l’on découvre si tôt son inexistence, empêcha toute plus grande avancée du chantier en séparant les hommes. Dans son indicible colère, il fit de certains d’entre eux des Flamands, du reste des Wallons.

Outre que ce chantier ne me concerne nullement – cela s’est passé alors que je n’étais même pas encore né – et sans vouloir trop m’avancer dans des débats théologiques que je maîtrise sans doute assez mal, la punition divine me semble si pas sujette à prescription au moins à réexamination étant donné son inutilité flagrante : les États-Unis (fortiche ces Américains !) n’ont-ils pas largement prouvé qu’il n’y avait strictement rien là-haut en envoyant leur trompettiste Armstrong sur la lune, et ce à peine onze ans plus tard ? Son courroux ne contrebalançant plus le manque de foi des jeunes actuels, je ne vois absolument pas en quel honneur nous devrions aujourd’hui encore nous laisser opprimer par une loi passablement éculée. Lire la suite



Un matin, au sortir d’un rêve agité, Werner Greg Samijn se retrouva à contempler son pyjama. Il avait peu l’habitude de s’observer sous ce jour. Mais le cauchemar de la nuit s’incrustait. Pour en chasser l’idée, il déboutonna sa veste. Son regard tomba sur son nombril. Tout enfant, il adorait le contempler. Werner G. Samijn décida de s’octroyer ce qu’il ne s’offrait jamais : un peu de temps avant de démarrer une journée qui devait se clore en apothéose lors de l’événement qui célébrerait les cinquante ans de Mijn Streekgazet, le journal toutes-boîtes présent dans toute la Flandre, édité par la respectable imprimerie Boekarta, cotée en Bourse.

Il replongea les yeux vers la trace du lien qui l’avait uni à sa mère, cinquante ans plus tôt aussi. C’était un peu creux, d’apparence fragile, une faille à la taille d’un bébé. Aussi loin qu’il se souvienne, la dimension du centre de son ventre n’avait pas changé. « Un nombril du baby-boom », pensa-t-il malgré lui, avec cette manie de toujours replacer les éléments dans leur contexte socio-économique. Sa mère adorait le chatouiller là. Lui n’avait jamais aimé cette sensation de faiblesse, d’être livré à l’autre qui pouvait même vous faire rire à votre corps défendant. Il se sentait vite attaqué. Lire la suite


Sommes-nous au bord du précipice, et sur le point de faire un grand pas en avant ? L’image que nous a conçue Roland Breucker, grand maître de la synthèse iconique, et qui figure en couverture, n’y va pas par quatre chemins. Variation sur la parabole breughelienne des aveugles, elle indique que pourrait bien se commettre une fatale bévue, plus qu’encouragée par un lion noir qui pousse impavidement à la faute. L’illustration de notre graphiste complice est si éloquente qu’elle en affirme presque l’écrasante supériorité de l’image sur la parole. Un croquis vaut mieux qu’un long discours.

Il se trouve, insistons-y, que ne suivent pas des discours, mais des textes littéraires résolument, insolemment, outrageusement subjectifs. Les discours se tiennent ailleurs : dans les assemblées, aux tribunes, devant les micros et les caméras. ils sont fait de cette bouillie rhétorique qui alimente les déclarations politiques. La Belgique, en la matière, depuis belle lurette, est incroyablement productive. Parfois, elle s’impose une diète, se met au régime, s’interdit les excès d’effets de manche sur les questions de sa survie dans sa forme convenue, celle qui figure dans les atlas et sur les planisphères. Elle s’assume comme mouchoir de poche plié en triangle, et mise sur sa pérennité. Ce sont souvent des périodes de stabilité idéologique, d’homéostase doctrinaire. Elle est bien calée dans son système de référence et ne demande pas d’en changer. Lire la suite


Note : les passages en italique sont extraits d’une étude menée par des chercheurs en sciences humaines de l’UCL, publiée sous le titre « Radiographie d’une société malade »  (Editions Alpha-Omega ;  Belgique ; 2019.)

 

« Il fut une époque où des mariages d’amour étaient scellés entre ceux qui, depuis quelques années, s’estiment incompatibles. On naissait sur les terres de l’autre, on y grandissait, y finissant sa vie parfois. Durant ce temps, la vie, comme de juste, passait ; chacun le savait, et chacun vivait en conséquence…» Lire la suite


Le conseil de son père était : « Marche là où tu peux, construis là où tu t’arrêtes et meurs là où tu abandonneras ce que tu as construit ».

C’était simple, ça avait l’avantage de ne souffrir aucune contradiction, tant la formule était lapidaire et sans appel.

Apparemment. Lire la suite