Castro était mort, on promenait son corps un peu partout dans le monde d’effigies en cultes désolants, les orphelins pleuraient, les oisifs se lamentaient, les touristes regrettaient déjà le temps des corps bon marché parfumés de mojitos et les Cubains faisaient leurs comptes.

Des fleuves de paroles surnageaient quelques chiffres flottés, comme les traces d’un naufrage ancien. Des chiffres de toutes sortes, des nombres, des statistiques, des pourcentages, des flux et des portions, mais des chiffres sans cesse. Le réel remonte toujours sous la forme de chiffres, les mots sont les ombres portées des nombres dispersés. Lire la suite



Par quel concours de circonstances suis-je arrivée à son domicile au moment de sa toilette ? La porte de la terrasse de la maison bourgeoise de la périphérie bruxelloise était ouverte. En une navette agitée, des hommes en noir mêlés à quelques membres ou amis de la famille, ainsi qu’à du personnel de ménage (une femme, fatiguée, promenait un seau inutile tant que le monde n’avait pas quitté les lieux), entraient, sortaient, marchaient sur le gravier rouge de l’allée et le faisaient crisser. Des cris à peine étouffés passaient de la maison à la voiture des pompes funèbres rangée en travers de l’espace servant de parking. J’ai pensé que cette maison, paradoxalement, n’avait jamais connu autant de vie. Mais peut-être, après tout, me trompais-je. J’ignorais tout de cet aspect de la vie de B. Lire la suite



En ce temps-là, les choses étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’était un autre monde…

Il y avait de la neige au sommet du Kilimandjaro, et des animaux actuellement disparus vivaient dans le Grand Nord, sur d’immenses blocs de glace agglutinés autour du pôle. Ce n’était pas vraiment un continent même si l’étendue de cette chose que l’on appelait « banquise » était à peu près aussi vaste que l’Afrique. Dans l’hémisphère septentrional, de nombreux pays bénéficiaient d’un climat tempéré : hivers relativement cléments, étés sans excès et parfois pluvieux.  Lire la suite


Stendhal trouvait son siècle commode : « Il n’y a qu’un mobile : l’argent », disait-il. Sur ce plan, les choses n’ont guère changé depuis son époque. La tendance s’est même accentuée. Où que l’on se tourne, dès que l’on veut comprendre une situation, en saisir les motifs réels, les tendances lourdes, c’est sur l’intérêt financier que l’on achoppe. Seule mutation : il n’a même plus la pudeur de demeurer discret. Les questions d’argent envahissent les nouvelles, la presse leur ouvre largement ses colonnes et ses plateaux. Ce qui, jadis, se fomentait derrière les portes insonorisées des conseils d’administration se communique désormais à l’avant-scène. Nous voilà informés en temps réel des grandes manœuvres de la finance, de ce bal des empires qui a l’air de passionner ceux qui ne risquent pas d’y être un jour conviés.

Cette transparence spectaculaire fascine, parce qu’on y voit les milliards passer par-dessus les têtes comme les astres dans le cosmos. Ce qui est montré là satisfait une curiosité sans objet, entretient des chimères, crée une fausse familiarité. Comme les échos sur les têtes couronnées, matière médiatique rentable s’il en est, induisent une intimité factice avec les grands de ce monde. « Rude journée pour la reine », se désolait Simone Signoret, concierge elle-même accablée de soucis dont elle ne se souciait guère, dans un film de René Allio qui avait pris cette expression de solidarité avec la monarchie, pour titre… Lire la suite


Nos heures sont des minutes

Lorsque nous désirons savoir

Et des siècles quand nous savons

Ce qui se peut apprendre.

 

Antonio Machado

 

Il était une fois, dans un lointain pays, un bon roi qui se lamentait : on ne le tenait jamais au courant des affaires du royaume. Les comtes, disait-il, lui en contaient de belles, les barons le barraient, les ministres le minaient. Il avait bien essayé de parcourir ses terres, déguisé en moine, mais il avait dû maintes fois relever sa cuculle et prendre ses jambes à son cou dans les rues sombres des villes. Un beau jour, ayant appris qu’un petit garçon accomplissait des miracles, il le fit mander au palais.

− Petit garçon, dit le roi, je voudrais savoir ce qui se passe en mon royaume à chaque heure du jour. Pourrais-tu réaliser ce vœu ? Lire la suite


À vingt ans, mon plan était simple : un, trouver la femme de ma vie; deux, vieillir ensemble dans la félicité d’un amour qui, pour ne pas réclamer des ressources pharaoniques, eût été dégagé des soucis matériels; trois, très vieux, déclinant, mais avant d’être une charge ou une misère, se reconvertir en terroriste et s’envoyer ad patres en concrétisant un rêve très cher : dynamiter la banque. Lire la suite


Le dernier rêve de Danglars ne lui avait pas semblé de bon augure, et, depuis lors, il ne parvenait pas à s’y soustraire. En dépit de la brume qui recouvrait son esprit, et des fantômes dont il tentait vainement de cerner les formes, il avait vite saisi que sa visite à Chérel ne produirait pas les dividendes qu’il en escomptait. L’ingénieur ne s’était guère embarrassé de précautions oratoires pour lui annoncer qu’il renonçait à concevoir le prototype réclamé. Aux tentatives de Danglars d’infléchir sa position, en lui faisant miroiter les énormes bénéfices attendus de l’opération, Cherél avait rétorqué, inébranlable : Lire la suite