On la prénomma Greta, comme sa grand-mère maternelle qui avait été ainsi appelée d’après la Divine. Son arrière-grand-père avait choisi le prénom de sa fille dans un accès d’éblouissement amoureux après avoir assisté à la projection de « Ninotchka » dans une salle à Stockholm. Mais la petite Greta ne savait rien de tout cela. À vrai dire, elle n’avait même pas entendu parler de la Divine.

Tous les dimanches, lorsque la famille se rendait chez les grands-parents, la petite Greta était accueillie par la grande Greta, avec une immense tendresse. Mais l’enfant se dégageait vite de l’étreinte de sa grand-mère et courait vers la chambre qui avait été celle de sa maman, où elle pouvait se perdre, pendant des heures, dans le labyrinthe de ses jeux imaginaires. Dans la belle chambre, peinte en rose, il y avait non seulement la maison de poupées en bois, fabriquée par grand-père Henrik pour sa fille Mélina avant qu’elle ne devienne la mère de Greta, mais aussi le grand coffre aux trésors. Lire la suite


Des fouilles profondissimes, tout récemment effectuées par le département d’archéologie de l’Universitas Leodiensis, ont mis au jour des documents séculaires sur papier, certains imprimés sur DIN A4 80 grammes, d’autres manuscrits sur feuilles lignées plus anciennes encore au format connu des papyrologues comme « format écolier ».

Le département universitaire autorise la source ouverte (open source comme on disait en langue ancienne), ce qui nous permet de vous révéler le contenu de ces documents rares − dont l’analyse est encore à peaufiner par les spécialistes. Cinq feuillets, abrités dans un étui de cuir bovin, genre « cartable », sont relativement bien conservés. Reste à en déchiffrer le contenu textuel. Nous vous les livrons tels quels. Il semble que ces textes, pour la plupart, n’en étaient qu’au stade de brouillon et que l’auteur ait été interrompu brusquement, peut-être par le cataclysme tristement célèbre, à savoir la catastrophe nucléaire survenue vers cette date en Condroz. La datation au charbon Quadroze, en effet, replace l’objet de la découverte à deux siècles d’ici. Lire la suite


Tout soudain, cela se produisit. Comme une flamme déchirant les entrailles. La jeune fille n’en doutait point. Voici venu le moment. Elle se dirigea vers le centre du village, là où somnolait l’arbre sacré, le lien avec les ancêtres, ceux-là mêmes qui discourent avec les dieux.

Elle s’accroupit et les femmes comprirent. Elles vaquèrent aux travaux du jour, se gardant bien d’échanger des regards entendus. Toutes savaient. L’air grésillant de midi porta la chanson : Lire la suite


Elle m’énerve elle m’énerve celle-là.

On n’entend plus qu’elle y en a plus que pour elle à la radio à la télé partout elle est présente avec ses cris ses appels elle me rappelle sa mère du temps de l’Eurovision.

Qu’est-ce que j’ai pu en avaler de ses grimaces. Lire la suite



Le livre de la jungle revisité par de nombreux auteurs, publié en 2028
Chapitre 6 : Le Voyage

traduit par Stéphanie Follebouckt

Nous sommes en septembre  2020, seulement un an après. Oui, un an déjà…

 

Il a parcouru le pays très confortablement, dans un gros camion spécialement équipé pour le voyage, et a choisi de prendre l’avion depuis Entebbe parce que l’alternative – traverser le Congo et franchir l’Atlantique sur une coquille de noix, comme elle – ne lui convenait pas du tout. Il déteste les étendues d’eau, même les plus petites. Et prendre l’avion ne le dérange pas car il est habitué aux sommets. Un coin spécial lui a été aménagé dans l’appareil. Lire la suite


C’est contagieux, la respiration de la jeunesse.
Laurent Gaudé, Nous, l’Europe

 

Dans l’assemblée superbe

Des inconscients et des lâches,

Elle ne manque pas d’air, la jeune Greta.

 

Les tresses allègres, résolues, intrépides, elle va.

En terre fervente ici,

Hostile et hargneuse, là.

 

Elle secoue tranquillement le cocotier.

N’a pas froid aux yeux ;

Affronte sans sourciller les détracteurs.

 

Elle a quelque chose à dire à ces installés 

Qui discourent et pérorent sans agir.

Elle n’a pas la langue en poche.

 

Sur ses traces, se dressent 

Se pressent et s’élancent tant d’êtres neufs,

Assoiffés d’un monde à hauteur d’humain.

D’où sort-elle ? chicanent les méprisants.

Qui est-elle ? interrogent les pleutres.

Que croit-elle donc ? ricanent les impuissants.

 

Antigone ou Jeanne d’Arc,

Est-elle vouée à la grotte, au bûcher ?

Se hissera-t-elle au niveau du mythe ?

 

Tu es toi, Greta,

Issue d’intègre conviction,

D’insurrection lucide.

 

Avec tous, tu veux survivre et vivre

Sur une terre rescapée, sauvegardée, sauvée, peut-être.

Une vivante en marche irrésistible.

 

Cela nous suffit pour t’emboîter le pas.


Chronique sur Radio Judaïca du 26/11/2019
Ce vendredi 22  novembre 2019, j’étais à une fête, dans des anciens bâtiments de la SNCB, gare du Midi. Il était près de 23 heures et dans cette salle sombre, il y avait un concert bruyant, des gens qui buvaient de la bière, fumaient et dansaient. À un moment, j’ai vu un petit garçon, à peine 2 ans, qui est sorti de la fumée, juste devant les baffles qui crachaient. À côté, sa mère, bobo flamboyante, se dandinait autour de lui comme si elle voulait faire tomber la pluie sur une pousse de chou kale. Lire la suite


traduit de l’anglais par Fabienne Gondrand

Ils étaient assis à une table dans le fond quand elle lui donna les raisons de son attitude pensive, à moitié absente. Sa voix ne trahit aucune hésitation, pas l’ombre d’un doute, égrenant les mots d’abord deux par deux, avant de ménager une pause, puis de débiter une phrase, cinglante.
Il encaissa le coup, comme un jet d’eau dont la force l’aurait plaqué au mur. Lire la suite


Jamais, jamais, jamais, et je les aurai pourtant entendues leurs critiques et leurs objections, allant parfois jusqu’à les comprendre, et de loin en loin à en admettre d’aucunes – oui, mes parents étaient des personnes médiatisées et expertes, oui, il m’est arrivé souvent de les écouter ou de rencontrer des sommités scientifiques grâce à leur entremise, oui, un activiste s’est attaché très rapidement à mes pas et m’a projetée sur le devant de la scène, oui, j’ai radicalisé ma démarche et crié mon hostilité et mon impatience plutôt que de quémander poliment une écoute, oui, et blablabla –, jamais je ne céderai à leurs injonctions, à leurs menaces et, je n’en doute plus désormais, à l’issue fatale qui m’attend, qui m’attendait, car ce discours que vous écoutez, si vous l’écoutez, signifie que je ne suis plus de ce monde, de votre monde, ce monde qu’il vous faudra défendre et sauver contre la prédation, cette prédation humaine qui a défini notre ADN depuis des milliers d’années, depuis le passage à l’agriculture, la soumission au blé, disait un expert, cette prédation qu’il vous revient d’expurger donc de notre essence pour en élaborer une autre, en harmonie avec la Terre, ce qui n’a rien d’impossible vu qu’il s’agirait, qu’il s’agit de renouer avec l’essence primordiale, celle dont toutes les autres espèces animales nous offrent quotidiennement l’exemple, celle dont il est fait écho dans la Genèse – et on applaudira à l’infini cette lucidité prospective ahurissante de nos ancêtres si lointains, ils avaient défini la Faute, la Chute comme cet écart hors du chemin de l’adéquation au Grand Tout –, non, non, non, jamais je ne céderai, jamais je ne proclamerai ces mensonges qu’ils tenteront de m’arracher – un assujettissement aux lobbies verts… ou m’inventeront-ils un passé criminel, des amours interdites ? –, et ils m’enlèveront, ils me tortureront – jusqu’où iront-ils ? – et, si, recourant à Dieu sait quel subterfuge, ils y parvenaient quand même, si je me décevais – je ne suis qu’humaine –, vous n’y accorderez pas la moindre importance, vous vous référerez ad vitam à ce message enregistré que je vous lègue, vous vous souviendrez de mon épopée, celle d’une petite fille atteinte du syndrome d’Asperger qui ne demandait qu’à profiter de la vie et du monde, de ses beautés, naturelles ou artistiques, une petite fille, mieux préparée peut-être ou mieux entourée, retournant son handicap en force, dans une ordalie à la Œdipe – ce qui ne te tue pas te rend plus fort ! –, mais une petite fille, rien que cela, qui a senti au plus profond de son être qu’elle n’était qu’un fragment d’un Grand Tout, que ce Grand Tout était agressé et lui demandait de ne pas subir mais de réagir, d’apporter son obole, vous garderez tous à tout jamais mon image d’adolescente esseulée devant le Parlement du pays, sacrifiant ses journées d’école et d’avenir, ma pancarte à mes côtés et mon refus, ma résistance, puis cette seconde image, par-delà la croisade, qui n’a pas à être décortiquée en ses mille aspects, comme mai 68 ou 1789 – car tout acquis se fait hélas à travers un collatéral, Muhammad a réussi à aller plus loin plus vite en transcendant les mots par des actes, en désignant l’ennemi, l’hypocrite, et ne me dites pas Gandhi ou Mandela, leurs réussites contrebalancent mille trajectoires en échec –, cette seconde image où je suis submergée par votre force et ce destin que vous incarnez, ce Grand Basculement que vous initiez, vous mutant tous et toutes en une nouvelle vague de Justes, dont les noms, un jour, seront apposés sur les murs des cités, au sortir de ce Parlement où un gouvernement s’effondre, où un autre instaure la présence de policiers européens sur tous les navires croisant en nos eaux, aux frais des compagnies de navigation, la disparition des paquebots de la honte en Méditerranée, la mise en coupe réglée des déplacements de nos dirigeants, etc. etc. et ce ne sont que des prémices, d’un Printemps dont je ne verrai pas l’éclosion estivale, mais je ne pleure pas, je suis heureuse, toute vie est si courte et galope vers son terme, il importe avant tout de se conformer à un sens, un idéal, d’être au monde et j’y serai parvenue grâce à vous, je survivrai en vous, vous êtes moi et je suis vous, je veux abandonner mon individualité et me fondre dans ce qui m’est cher, le Grand Tout, ma communauté, mais, avant, je redresse la tête une dernière fois et fixe la Prédation immonde de tout mon mépris, de ma haine même, je songe à Jésus face aux marchands du Temple, il renverse les tables, bouleverse les échoppes, là était la voie et ne jamais donner de perles aux pourceaux, non, je fixe la Prédation au cœur de son néant, elle tremble et vacille, nécessairement, elle se lamente au creux de ses illusions, de son désamour du monde et de soi, qu’elle a transformé en guerre haineuse contre le Vivant, je fixe la Prédation, fière de mon souffle, de cette phrase unique qui me survivra, unique pour imprimer l’unicité et l’ambition, je la fixe, malgré la lame ou la balle qui me désirent, et je crie de toutes mes forces : je m’appelle Greta Thunberg et je vous emm… ! Lire la suite