Mais cet après-midi, cet irrépressible désir d’être celui qui touche, celui qui d’un regard légèrement amusé, légèrement concentré, toise l’autre avant de la palper. Me placer devant lui, suivre du doigt les contours de son visage, ses lèvres, son nez, son front, ses maxillaires, son menton, ses oreilles, ses sourcils, ses orbites. Écarter doucement ses lèvres, sentir l’intérieur humide et chaud de ses lèvres, attendre la langue qui, timide ou téméraire, lèche mon doigt, l’aspire. J’aimerais faire glisser des bretelles sur une épaule, d’abord la gauche, puis la droite, les replacer sur les épaules, attendre. J’aimerais dénuder un sein, un sein d’homme, un sein de femme, puis caresser l’entour du téton avec un doigt, plus tard peut-être avec ma langue. J’aimerais m’agenouiller devant quelqu’un, défaire une ceinture de pantalon, ouvrir les boutons ou la fermeture éclair d’une braguette, faire glisser un doigt au-dessus du bord d’un slip, sourire à la vue des poils dont les petites boucles dépassent de l’élastique. J’aimerais dénouer des lacets, ôter une chaussette, poser un pied nu sur ma cuisse, tirer doucement les doigts de pied. J’aimerais être celui qui touche, avec ses doigts, ses mains, ses lèvres, sa langue. Mais je suis celle qui est touchée, qui est debout, assise ou couchée, observe des doigts, des mains, des lèvres, une langue qui effleurent ma peau, écoute des paroles comme celles-ci : Lire la suite


D’ici, de ma fenêtre, je ne peux voir la mer. Je n’aperçois que des nuages de couleur sombre qui se désintègrent, et la pointe du Tibidabo. Rien de très joli. Des immeubles, hauts et laids, avec leurs fleurs fanées aux balcons et leurs stores jaunes brûlés par le soleil. Je ne peux voir la mer parce qu’elle est bien loin d’ici, de l’autre côté de la ville. Endeuillée, grasse, presque puante, elle berce, comme une nourrice, des bateaux de commerce, des yachts et des bateaux-mouches à quai. Cette mer-là ne ressemble pas du tout à la nôtre. C’est une surface métallique, épaisse et d’un gris uniforme. Coagulée, bourbeuse. Mais elle me manque. Elle me manque parce que, quand je la regarde, je pense que tu vis de l’autre côté, et que d’une mer à l’autre, d’un rivage à l’autre, le chemin est bien plus court que d’une ville à l’autre. Lire la suite



Cela pourrait commencer par… l’advenue, enfin, d’un nouvel été. La première guêpe s’est introduite à l’aube, dans le salon. Ma voisine, devenue depuis peu veuve, exposait déjà au soleil un corps qu’elle espérait encore jeune. Dans la cour, la fille de la concierge portugaise lissait avec un peigne de fer le pelage d’un Labrador résigné. Sur la terrasse de l’immeuble qui jouxte le mien, au dernier étage, une jeune femme allait et venait, dans l’euphorie ou en colère, pérorant avec force gestes dans le micro de son téléphone portable. Je me suis dit qu’en d’autres temps, elle serait passée pour folle. De même, sans doute, que la vieille fille du septième étage, qui nourrit tous les chats perdus du quartier mais trouve que les animaux manquent quelquefois de gratitude. Pour l’heure, elle tentait d’apprivoiser un hérisson à moitié mort de peur sous la canicule naissante. Lire la suite