J’ai traversé la vie grâce aux livres. Et ensuite seulement, grâce aux gens. À leurs histoires. Comme si quelque chose en moi était impropre à l’expérience immédiate. Je ne reconnais pas les visages en direct. Mais parfaitement sur photo ou dans un film. J’ai une désorientation spatio-temporelle manifeste et totale. Je me perds parfois dans ma propre maison. Mais je sais lire une carte. Je confonds les prénoms de mes filles, et même nos liens de filiation – je dis ma sœur, ma mère, ma fille indifféremment. Mais j’ai deux convictions fondamentales, : je crois que mon cerveau fonctionne bien : je lui fais une confiance totale. Et je crois comprendre les corps et leur mécanique interne : ils me fascinent. C’est une expertise qu’on pourra m’accorder, vu les maladies auxquelles j’ai échappé. Cette expertise repose sur un postulat : le corps et l’esprit vivent en totale indépendance mais se surveillent mutuellement. Ce qui est un postulat très particulier pour une psychologue on en conviendra. Mais il n’est pas si différent de l’approche scientifique, qui a pendant des siècles étudié la mécanique des corps comme on étudie la mécanique céleste, sans se préoccuper des esprits qui les colonisent. J’allais dire : qui les parasitent. Lire la suite