pour Jacques

 

La nuit touche à sa fin. Le pianiste improvise dans une veine jazz manouche une parade musicale, rythme syncopé de l’amour. Une femme rousse le suit du regard, a reconnu l’homme qui fait danser la nuit, se lever l’aube. Surnommé l’homme-orchestre, Jacques a tant de casquettes, de fonctions, de passions, écrivain, dramaturge, traducteur, journaliste, conférencier, secrétaire de l’Académie, professeur, rédacteur en chef… Elle le savait flâneur, polyglotte, traducteur des faits et des âmes mais elle ignorait sa face cachée, pianiste de bar qui étire ses airs, distille ses notes dans des nuits moites. Sous ses doigts, un fantôme s’agite, celui de sa mère. Les mains de sa mère pianiste pulsent son jeu qui séduit les femmes. Il joue pour son père, le peintre Luc De Decker, pour sa mère, pour son frère Armand, pour George Steiner, Anthony Burgess, André Delvaux, Charles Aznavour, Évariste Galois. La femme rousse note la présence d’une créature mince, aux cheveux noirs, qui prend des notes lorsque la musique repasse par les mêmes chemins, les mêmes motifs.  Lire la suite




La beauté se cache dans les interstices de la vie. Dans les brèches, dans les failles du temps humain. On la déniche parfois dans l’amour, parfois dans le plaisir, parfois dans la nature, parfois dans le rêve. Elle peut surgir d’un simple regard. Lire la suite


Cher Jacques,

Les bons côtés des choses, écrivais-je près d’un mois avant votre départ pour l’autre monde.

C’était en mars. Après le 12 avril, quel texte aurais-je écrit pour « Marginales » ? Maintenant, en ce matin du dernier jour de septembre, me revient le dessin que je réalisai en 2008 pour le thème « Comment va le monde, Môssieur ? ».

Le revoici, parce que j’y vois à présent votre visage.

Un visage serein, passé de l’autre côté.

En un nirvana ? Qui sait. Ce serait alors le bon côté de…

De quoi ? De notre Être ? De notre Vie ? Qui sait…


C’était le printemps. Cette année-là, nous nous étions retrouvés, Jacques et moi, dans la belle ville de Cluj, en Roumanie septentrionale, où la faculté des Lettres nous avait invités l’un et l’autre. Notre amie Rodica, qui y enseignait la littérature française, et Valentin, son mari, nous avaient conviés à dîner et nous passions chez eux une de ces belles soirées où le plaisir d’une conversation animée se mêle à celui d’un excellent repas. Vint le temps de regagner notre hôtel au centre de la ville. « Nous allons vous reconduire », ont déclaré nos hôtes. Jacques a tourné la tête dans ma direction, à l’évidence nous avions la même pensée. Lire la suite



« On apprend ces jours-ci que, à la suite de bien d’autres, Jacques De Decker se retire dans une région à la réputation controversée. Des foules d’individus y sont passées ; et pourtant, les très rares récits qui s’efforcent de l’évoquer, terribles descriptions où abondent vents mauvais, gémissements sans fin, gouffres insondables et autres impénétrables ténèbres, sont tous d’imagination. Quoi qu’il en soit, à ceux qui s’étonnent de sa présence en ces lieux, rien ne dit que Jacques ait l’intention d’en rester là : du moins, on peut penser que, puisqu’il doit y demeurer, il saura en apprécier, sinon les improbables beautés du moins les traits et les formes, et qu’il saura limpidement les interpréter tels qu’ils lui apparaissent, peu importe le temps qu’il y consacre. Lire la suite



La rue en pente offre aux deux frères un terrain d’exercices qui occupent une grande part de leurs journées d’été. Ce sont des courses, des joutes de chevaliers, des concours de remontées ou de descentes, qui sera le premier, qui battra son dernier record et les chutes aussi, les genoux écorchés, le bras de l’un qui soutient l’autre…

Des vapeurs de térébenthine jusque dans le jardin. Aujourd’hui concours de balançoire. Les nuages sont moutonneux, l’été humide, les énergies des gamins débordantes. Comme on ne peut pas lire tout le temps, l’exercice sous toutes ses formes reste leur meilleur défouloir. Lire la suite