Ce matin du 21 juillet, je me suis levé de bonne heure. C’est une habitude que j’ai prise depuis l’âge dix-sept ans, depuis le jour où j’ai réalisé à quel point j’étais attaché à mon pays et à tout ce qu’il représente à mes yeux : la bravoure, le courage, l’union, la force, la liberté, la couronne. Ma femme et mes trois fils (mariés tous les trois) s’en moquent. Ils considèrent que mon patriotisme a quelque chose de romantique et que mes idées — et mes idéaux — sont rétrogrades.

Je suis tolérant. Je me dis que chacun fait comme il veut et pense comme il veut, même si j’éprouve beaucoup de difficultés à me mettre à la place de tous ces gens qui, en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, n’arrêtent pas de proclamer la mort imminente du Royaume. Leur discours m’a toujours agacé. Cela fait un bon moment d’ailleurs que je me suis désintéressé des choses de la vie politique nationale. J’ignore quels sont les partis au pouvoir, je ne connais le nom d’aucun ministre. A fortiori, je serais incapable de dire qui est aux Finances, aux Affaires étrangères ou aux Classes moyennes. De toute manière, ça ne change rien : ces gens-là passent. Exactement comme passent dans les républiques occidentales les présidents élus au suffrage universel. Lire la suite


« Sale Belge ! » Ça y était, c’était reparti, il savait que ça n’allait pas cesser, que toujours il serait un « sale quelque chose » et qu’il n’en finirait pas de déguster…

Il pénétrait dans la cour de récréation de l’école pour la première fois et l’apostrophe était claire, nette, bien lancée, sans un soupçon d’hésitation, toujours la même fermeté dans la façon de faire claquer le « sale »…

Les gamins jouaient à la guerre, c’est à ce jeu qu’ils étaient les plus doués. Les cris montaient, les corps s’affrontaient, des pleurs tombaient parfois au fond des gorges mais l’énergie était à son comble, la violence parfaite. Lire la suite


Je n’ai pas reçu de lettre de Belgique ce matin.

Je n’ai pas acheté le seul journal belge qu’on trouve dans le coin.

Ma carte téléphonique est épuisée.

Le bureau de poste a été fermé l’hiver dernier. Lire la suite


Décevoir autrui, c’est le guérir d’un mal

qu’il ne se supposait pas avoir, le libérer.

« Tu resteras genoux à l’air sur le mur de ton doute. »

René Char

Sur la piste du contour

qui est fini tournent hors de nous

des hologrammes du vieillissement projections

lasses que l’espoir a mises en route

et ce depuis le début

sans dents Lire la suite


Nous n’irons jamais voir la Senne

L’eau souterraine en est malsaine

N’irons plus sur l’île Robinson

Tout a brûlé, jusqu’au boxon

Ni jamais plus au vrai Vendôme

Démoli, mon damné fantôme

Nous n’irons jamaisn’irons plusni jamais plus

La Senne l’île Robinson un fantôme le Vendôme

Le passé est passé — mais l’avenir, pour qui ? pour quoi ?

J’étais tout cela quand même ne l’oublie pas

Le cœur place des Palais les jambes au Coq la tête à Redu

Nous n’irons jamaisn’irons plus — ni jamais plus

Mais nous irons à l’Hôtel Errera

La maison est vieille et s’effondrera

Et God’froid d’Bouillon le Roi la Nation

J’ai pourtant horreur de tous les flonflons

Toi et moi poursuivrons la belgerrance


OUT OF RECORD I

Que pèse la croyance en une nostalgie ? C’est l’une des questions qu’on ne pose pas dans l’Organisation.

J’ai cru jadis en une nostalgie : celle des sagas nordiques, enflammées d’épopées héroïques issues d’Asie Mineure, qu’aurait pu être la Belgique.

Dans l’histoire archaïque l’existence des Belges ne confinait-elle pas au mythe, pareille à celle des Troyens, des Phéniciens, des Éthiopiens ?

Les Galiléens de l’Évangile n’étaient-ils pas d’origine belge, et Jésus-Christ, l’un d’eux ? Ces tribus d’entre Celtes et Germains, dites par la plus vieille littérature, ne nomadisaient-elles pas le long des fleuves ancestraux, du Sud-Est au Nord-Ouest de ce qui deviendrait l’Europe ? Lire la suite


Armistice. On a donné ce nom

à des rues. Admettons : il y a

des décennies de cela. Le vent

soufflait encore où il voulait. Il s’engouffrait

jusque dans les caves. Pays frissonnant.

 

Maintenant que les grues tatouent le ciel.

Que denrées et atours saturent les vitrines,

personne ne sait plus que faire de la paix

et dans la rue de l’Armistice,

des électeurs tabassent un homme de couleur.

 

Vrede, traduit du néerlandais par Jacques De Decker



En 1914, au début de la guerre de tranchées, mes grands-parents s’enfuirent de Flandre Occidentale. Avec leurs onze enfants, ils s’entassèrent dans une carriole tirée par quatre chevaux et, démunis de tout, s’arrêtèrent en Normandie. Ils avaient abandonné leur ferme, située en pleine zone du front.

Les aînés des enfants trouvèrent refuge dans des familles d’accueil. Ma mère, qui avait douze ans, fut engagée comme servante par le curé de l’église Sainte-Geneviève de Beaunay. Quoique vivant chichement, il la traita du mieux qu’il put. Il possédait une chèvre, qu’il trayait lui-même, et un petit potager qu’il cultivait également. Ma mère acheva ses études primaires à l’« école publique » du village, en français bien sûr. En août 1916, elle reçut des mains du directeur de l’école, Monsieur Lambard, son « Prix de Certificat d’Études ». C’était un superbe exemplaire relié et doré sur tranche de Grandeur et décadence de César Birotteau d’Honoré de Balzac, dans une « édition abrégée à l’usage de la jeunesse ». À son tour, ma mère me donna le livre, que je chéris comme un bien précieux. Lire la suite


En 1953, à l’École moyenne de l’État d’Auderghem, le remplaçant du prof de musique, un certain Devlieger que l’on surnommait, j’ai oublié pourquoi, « Mazette », chargé de nous enseigner l’hymne patriotique Vers l’avenir (à la gloire de la conquête coloniale), nous imposait de remplacer l’avant-dernier vers, « Dieu protège la libre Belgique », par : « Nous protégerons la Belgique ». Je suppose qu’il était anti-clérical et lecteur du Soir.

*

Il y avait cette dame de la banlieue lilloise qui me demandait : « S’il vous plaît, parlez-moi en belge ». Elle prononçait « belche ». Je lui ai proposé, avec le plus bel accent bruxellois qui soit : « Je ne sais pas te voir entre l’heure de midi ». Lire la suite