Lorsque l’histoire arriva à son terme, que les portes eurent été ouvertes, il constata que le monde venait brusquement de changer, la ville et le ciel étaient plus clairs, comme débarrassés de la poussière qui flottait partout, les sons n’escaladaient plus les remparts au rythme des rafales, sa respiration redevenait légère et profonde, ses épaules lentement se défaisaient des tensions récentes, il pouvait à nouveau s’ébrouer dans la chaleur, laisser ses grandes mains palper l’ombre fraîche des terrasses, le soleil commençait sa retraite à reculons, comme pour ne pas le quitter des yeux un seul instant alors qu’il sentait monter en lui une douleur chargée de larmes quelque chose comme un chagrin sans rémission, une peine dont il ne pourrait plus se détacher, un vomissement presque qui le secoua de frissons, toute cette beauté resplendissait dans le bruissement des insectes et des saccades du vent piqué de jasmin et de miel, il ne la verrait bientôt plus que dans l’arrière-boutique des souvenirs et des regrets, il allait s’éloigner de l’évidence des pierres et des toits enrubannés de linge à sécher, il allait fermer les yeux et la ville ne disparaîtrait pas, il le savait, elle avait rétréci, toute une ville avait pris place en lui — et comme elle pesait soudain en son cœur ! –, une cité parfumée dans laquelle il avait joué entre hammam et mosquée, courant dans les jambes des femmes empêtrées de paquets et de fardeaux divers, visant alors leurs yeux masqués de khôl et d’un sombre étonnement, filant dans le dédale des ruelles aux odeurs de cannelle, il lui arrivait d’arriver chez lui, essoufflé et affamé de bonbons et d’orangeade, le corps zébré de crasse et de transpiration, tout heureux de plonger les bras dans des baquets d’eau froide et de pratiquer ses ablutions comme son père le lui a appris. Samir aimait cette ville comme une femme, sans raison suffisante, habité de ses senteurs et prêt à tout pour entendre encore sa voix lui chuchoter son amour. Lire la suite