À Dominique Grandmont

Feu aux entrailles

Feu sur tout

Crépite sang

Sonne le glas

D’un monde ancien ? !

Et je me tourne par un ciel lourd tonnant

criblé d’astres hiéroglyphes vers

mes morts tant songées toutes mes morts

enduites de feu ailées que rien n’arrime

Quelle eût été déjà ma demeure ? Lire la suite


Les anges, paraît-il, avaient, en une langue mallarméenne, musicale mais hermétique, adressé un message aux bergers. L’évangéliste Luc l’a rapporté en grec, saint Jérôme l’a traduit en latin et ceux qui, depuis Vatican II, doivent donner au peuple une version en « langue vulgaire » ne tombent pas d’accord. Deux interprétations opposent radicalement les exégètes, depuis qu’ils associent linguistique structurale et philologie avec la mauvaise foi des docteurs de la loi et l’assurance des Pères de l’Église.

Pour les humanistes, les anges ont, au milieu des hautbois et des musettes, clamé : « Paix aux hommes de bonne volonté ». Autrement dit, la paix est un choix que font les hommes, en particulier les « décideurs » : premiers ministres ou chefs charismatiques.

Cette lecture, pour les providentialistes, met le Tout-Puissant en dehors du processus de négociation. Intenable ! Les anges, en réalité, ont souhaité la paix « aux hommes que Dieu aime ». Ladite paix, toutefois, ne règne pas dans le clan des providentialistes divisés en progressistes et conservateurs. Les premiers traduisent : « Paix aux hommes, car Dieu les aime », quels que soient leur sexe, leur âge, leur fortune, leur race et même leur religion. Les autres, où subsistent quelques néo-jansénistes, trouvent juste et bon de réserver les sentiments positifs du Tout-Puissant aux happy few prédestinés à la tranquillité terrestre, puis à la béatitude éternelle : « La paix, mais pour les élus ». Les autres ? Qu’ils se débrouillent ! Lire la suite


Ce sont des combattants de Judée, de nombreuses grottes les ont déjà abrités.

Le sol est aride.

Les sorties de plus en plus suicidaires.

Ils devraient se rendre.

Le réduit rectangulaire de douze mètres sur trois pue la rage des vaincus. Lire la suite


« Il avait une sale gueule.

— Mais encore ?

— Il me lançait des injures.

— Qu’a-t-il dit ?

— Je n’en sais rien, il ne parlait pas le français.

— Comment sais-tu alors qu’il t’injuriait ?

— Son visage le criait ! » Lire la suite


Bethléem. Rendez-vous d’Abdelah et Sarah. Couple dit mixte.

Lui, réjoui, va vers elle, et l’embrasse.

Abdelah : — Plus que jamais, je suis un Palestinien sioniste !

Sarah (souriante) : — T’es maso.

Abdelah : — Ma belle juive est pour les droits de l’homme (Il rit, la serrant contre lui.)

Sarah : — Tu ne peux préférer ma mère à tes pères. Lire la suite


Que peut-elle faire sinon marcher de Jérusalem à Ramallah, de Ramallah à Bethléem, dans la poussière et les pierres de Palestine ? Passer de checkpoint, en checkpoint, de chemins en routes défoncées, devant des armes braquées sur elle comme des pointes de barbelés ?

Avant d’errer sur cette terre, pendant des mois, elle a regardé les télévisions du monde. Elle a vu Sharon, le faucon, marcher sur l’Esplanade des mosquées. Pourquoi justement là, au sein des mosquées ? Elle se glisse dans la peau de Sharon : il a de grands desseins pour son peuple, et ces desseins coïncident avec sa haine envers son ennemi personnel, le Palestinien Arafat. Qu’espère-t-il, le faucon ? Ce que, d’un pas lourd et déterminé, il vient provoquer : la seconde Intifada, les pierres des gamins palestiniens contre les chars israéliens. À la face du monde, Sharon ose se proclamer attaqué. Devant son gouvernement, devant l’Europe et l’Amérique, une mauvaise foi tranquille suintant de son visage, sa bouche annonce la défense active. Un an durant, c’est l’implantation frénétique de nouvelles colonies. Pour ce faire, on rase des maisons, on fait place nette. On tue. La population réagit par des manifestations, puis par des jets de pierres, la riposte des soldats israéliens est sauvage, brutale. Il reste aux Palestiniens une seule arme : leur vie. Que veut exactement Sharon ? La bécasse soupçonne la volonté d’exaspérer la population palestinienne, de la pousser à l’exode… la bécasse allume la télévision, regarde, se nourrit d’images et d’indignation, éteint. Tout en vaquant à ses occupations, elle rassemble ses idées : voyons voir, faisons le point : Lire la suite



1

Burg Weiser adorait la vie. On pouvait expliquer cet amour par les événements tragiques qu’on avait souvent évoqués devant lui. Presque tous les membres de sa famille avaient disparu dans les camps de la mort, victimes de la barbarie nazie, durant la guerre de 40-45. Seule, sa mère, toute jeune fillette, avait échappé aux rafles, ayant été cachée, au péril de leur vie, par des gens du voisinage. À la libération, l’enfant, avec une tante, miraculeusement rescapée, elle aussi, à l’holocauste, n’avait pas tardé à gagner Israël. Devenue femme, la fillette avait épousé un kibboutznik. Sur le tard, Burg était né de cette union.

Ces récits avaient beaucoup marqué le jeune garçon. Ils avaient éveillé chez lui un irrépressible besoin de se consacrer aux autres. Cela s’était développé durant son adolescence. Très doué, il avait fait de brillantes études de médecine. Soigner ses semblables était sa passion. Il s’intéressa à la cardiologie, devenant vite un chirurgien reconnu, spécialiste des interventions à cœur ouvert, perfectionnant sans cesse les techniques et les prothèses, ce qui lui permettait de réussir des opérations très délicates. Lire la suite


Que dit la Terre à Bethléem ?

Que dit le Ciel, l’inaliénable ?

Que dit celui que personne n’a vu venir, que personne n’attend ? Celui qui est assis là, sur une pierre, et que nul ne remarque ; que nul ne reconnaît ? Que dit celui-là, qui parle et que personne n’entend en sa parole dépouillée, sa parole ample et muette qui souffle doucement sur les tempes noircies des maisons fusillées ? Lire la suite


Jeff. Jean-François Houdemarck. Dit Jeff-le-Liégeois, à cause se sa chevelure très noire autour du crâne, et toute blanche au sommet. Quarante-deux ans. Son corps est arrivé ce matin de Tel-Aviv, pas trop pourri, mais un peu juste. Heureusement qu’il était maigre. Sa mère est dans la pièce à côté, elle pleure doucement, comme elle a toujours prévu de pleurer au cas où il ne reviendrait pas vivant du Congo, du Kosovo ou d’Afghanistan. Souvent, elle l’a rêvé explosé, déchiqueté par une rafale ou une bombe, ou même torturé. Il vivait seul avec elle, il partait, téléphonait, revenait, téléphonait, repartait. Petite vie tranquille dans les faubourgs de Namur, sauf ces escapades rares et précises dans les brasiers de l’actualité, qu’elle avait admises parce qu’elles se traduisaient par un soin méticuleux de tous les détails qui la rassurait : le choix des vêtements adaptés au froid ou à la chaleur, la mise en ordre des passeports, permis, vaccins, billets et autorisations, le nettoyage méticuleux de ses Nikon, viseurs, objectifs et accessoires. Il ne supportait pas, lui qui vivait dans le désordre et, aux yeux de sa mère, une propreté toute relative, la moindre trace de poussière sur les lentilles de sa caméra. Lire la suite