Depuis combien de temps suis-je là ? Mon corps a pris sa forme. Il épouse ses moindres sillons. Il ne la quitte qu’à regret, pour de petites tâches sans importance : trier un tas de déchets, en extraire de précieux minerais ; descendre en ville pour les négocier et remonter tout aussitôt, heureux de retrouver sa chaude moiteur. Lire la suite



Cela faisait trois jours que nous avions quitté ce petit port qui préférait regarder en face les eaux douces qui venaient se perdre dans l’océan salin. J’avais beau chercher, je ne parvenais pas à m’expliquer la raison profonde de ce voyage. La relecture de Conrad ou la énième vision du périple du capitaine Willard en vue de mettre fin au commandement du colonel Kurtz n’étaient que des prétextes littéraires fumeux.

Il y avait aussi ce voyage de jeunesse au Brésil où je m’étais imaginé en Lévi-Strauss. Je n’avais pas réussi à m’éloigner de Sao Paulo ! À septante-sept ans, l’achèvement de mes rêves de jeunesse m’avait toujours paru pathétique. Il devait certainement y avoir autre chose. Lire la suite


On s’envole et on s’invente

Des millions de gens qui chantent

Dans nos têtes

Oh quelle fête

On se lance dans la danse

Qui balance entre la vie et l’amour

Claude François, Je vais à Rio

J’étais en retard, mais pas de plus d’un bon quart d’heure : ce que justifiaient amplement les embouteillages d’Ixelles à midi et la difficulté de se garer au long de la satanée chaussée d’Austerlitz… Et j’avais miraculeusement fini par dégoter l’emplacement rêvé : juste en face de chez Max ! Lui qui, m’attendant à deux pas de là, devait avoir laissé seuls au gîte ses chats Clifton et Maldoror.

Un moment, j’ai détaillé le domicile du maître et de sa petite famille, Marie-Chantal en tête. Une maison bruxelloise à deux étages et un entresol, de surcroît le siège historique des méconnues Telstar Productions. Une demeure dont Max, en dessinateur ludique et conséquent, avait agrémenté la façade de boiseries aux volumes chantournés et aux couleurs primaires dans le plus pur style atome. De quoi la démarquer, façon châtaigne en pleine poire, de la grisaille et de la banalité des bâtisses alentour… Lire la suite


Mante est une jolie jeune femme. Elle est moderne — ce qui, il est vrai, ne signifie pas grand-chose. Elle pratique des sports sudatifs, comme courir en rue, soulever des poids, faire des abdominaux. Seule, ou avec le club féminin Beauté et Joie. Contrairement à ce que laisse entendre son prénom, elle n’est guère attirée par la religion. Aussi évite-t-elle le moment de prière qui ouvre chaque heure d’activités physiques organisées par le club. Personne ne le lui reproche. Malgré l’engagement catholique de Beauté et Joie, ses deux animatrices principales acceptent que Mante, on ne sait pourquoi, en soit dispensée. Lire la suite


En fin de compte, je ne serai jamais allé au Brésil. Chaque fois que j’ai envisagé d’y traîner godasses et sac à dos, une autre destination s’est imposée, Teotihuacan, Tikal, Machu Picchu, Katmandu, Chidambaram, Khadjurajo… Mais de Rio, son Pan de Azucar et Copacabana, de Salvador de Bahia, sa capoeira et son candomblé, de chutes d’Iguazu, point !

Ce Brésil, pourtant, je le porte en moi depuis mes années tendres, il aurait dû être pater entre les avés dans mon chapelet d’exotisme. Il restera pour moi une collection de clichés, cariocas, Girl from Ipanhema, roi Pelé, capitale inhumaine jetée en pleine jungle par le plus désastreux architecte de mémoire de civilisation. Lire la suite


Planter là devant soi les amazones, c’est entreprendre une fois encore le grand voyage, celui des constructions et des perceptions. Soit trois types d’amazones : les originelles, celles de la Grèce antique — Penthésilée et Hippolyte —, celles du xviiie siècle et même du romantisme, façon Lady Montagu et Esther Stanhope (mais on peut aller jusqu’à Mata-Hari) et puis les Modernes, avec Xena la Guerrière et aujourd’hui toutes les bandes de filles déterminées à s’affranchir du mâle, poussées dans le dos par la « on-culture » des magazines féminins qui est conscience de classe, moulage de fesse et sent la fosse. Lire la suite


« Ethan Storm, le porte-parole de la Ligue Porneia, se refuse encore à tout commentaire. Il est toujours impossible d’affirmer avec certitude que les actionneurs qui ont fait la une ces dernières semaines sont membres de la Ligue. »

— Roh, ces putains d’actionneurs ! On va en entendre parler encore longtemps ?

Phil changea de chaîne, jusqu’à tomber sur la rediffusion d’un match de baseball. Suzan restait silencieuse. Elle ne savait qu’en penser. Elle n’était pas née à l’époque de l’adoption du décret de 12. Elle n’avait donc pas connu l’avant. Les actionneurs soulevaient le lourd couvercle posé par le décret. Ça la titillait, elle n’était pas certaine de comprendre pourquoi. Elle aurait voulu en parler à Phil. Ça n’était sans doute pas une bonne idée. Lire la suite



Quelque chose viendrait dans la transparence, dans cet air insouciant qui enrobe le vert des végétations. Dans ces lueurs solaires qui parfois trouent la canopée pour chauffer l’humus et faire briller les couleurs des grenouilles venimeuses.

Une respiration inusitée, un souffle traversé.

*

Accorder au serpent ses raisons d’être lent. Lire la suite