Nous n’avons pas fini – ni même commencé – de recenser tout ce que l’ami Jacques De Decker a emporté avec lui, de l’autre côté du miroir. D’autres, qui l’ont connu de plus près et surtout plus longtemps que moi, sont certes mieux habilités pour dresser l’impressionnant inventaire des traces qu’il laissera dans l’histoire de nos lettres et de la vie culturelle de ce pays… Oui, j’ai bien écrit « ce pays ». Lire la suite



Sitôt l’auto démarrée, il a déclaré que le français, il s’en foutait, car « le plus important, pour moi, c’est de nourrir ma famille. » Le ton de la voix et le regard qu’il m’a lancé, mélange de mépris et de pitié, indiquaient qu’il plaçait à hauteur de vertu sa principale préoccupation – jusque-là j’avais cru qu’il s’agissait de son auto. De sa manière de détacher « pour moi » se dégageaient quelques sous-couches : « t’es trop jeune pour comprendre les soucis d’un chef de famille » ; « le sort du français est une niaiserie à côté des vraies responsabilités de la vie ; ceux qui pensent autrement sont des sans-cœur » ; « à force de se faire casser les oreilles avec vos revendications, les compagnies finiront par se tanner et sacrer leur camp – on sera bien avancés : c’est-tu votre gang de chialeux qui va me donner de l’ouvrage ? », ce qui visait probablement mon père par ricochet, dont on ne pouvait pas ne pas connaître les convictions politiques. Lire la suite


Bruxelles n’est pas une ville, mais une sorte d’archipel, un agglomérat de noyaux urbains.

Jacques De Decker, Bruxelles, capitale eurotique, in Modèles réduits, 2010.

 

Un triangle. La rue Jean Chapelié, l’avenue Molière, la chaussée de Waterloo. À l’angle nord, la petite place Charles Graux opère la jonction entre la rue Jean Chapelié et l’interminable chaussée qui relie Bruxelles à la « morne plaine » hugolienne. Cette place est une respiration même si, saturée de voitures aux heures de pointe, elle tient du rond-point, même si, peuplée d’ombres qui descendent des canettes de bière sur les bancs, elle tient certains soirs du square mal famé. Lire la suite


Marek Mauvoisin vint appuyer sa longue et haute silhouette à la balustrade de pierre rongée par la pluie et la pollution. Le ciel sur Bruxelles était gris ; du haut du Mont des Arts, sur les lieux de son long règne sur les lettres belges en leurs multiples facettes, Mauvoisin se sentait envahi par une immense lassitude. « Tout ça pour ça », murmura-t-il, en appuyant sur le dernier « ça » comme un lacanien désenchanté. Devant lui, la ville était déserte, comme dévastée. Mauvoisin songea qu’elle était à l’image de la culture qu’il avait si longtemps chérie et servie, dévastée par l’incurie de responsables irresponsables, lesquels n’avaient répondu au dévouement d’une vie – au dévouement ? Au sacrifice ! – tout entière dédiée à cette culture que par l’ingratitude et le mépris. Il avait été commissaire à la culture, directeur du musée des lettres ; aux yeux de ses anciens employeurs, il n’était plus rien. Poète et malade, mais malade surtout de ce qu’il voyait autour de lui… « Ô rage, ô désespoir, ô jeunesse ennemie ! » siffla Mauvoisin entre les dents. Lire la suite


Jacques De Decker s’en est allé. J’aurais pu écrire bien des choses en ces tristes circonstances, évoquer bien des souvenirs. Mais je n’aime guère les oraisons funèbres, et je ne suis pas certaine qu’il aurait aimé cela, lui non plus.

J’ai donc préféré me lancer dans la fantaisie, ce qu’il aurait apprécié, je veux le croire, et composer en son honneur un texte vaguement oulipien construit sur (presque tous) les titres de ses œuvres. J’imagine son sourire narquois à la lecture de ces lignes sans prétention… Lire la suite


Jacques De Decker et Guy Lejeune se sont rencontrés à la RTBF au début des années 1980. Guy réalisait l’émission « Écritures » que Jacques concevait, animait et présentait. Ce fut le début d’une longue amitié.

Je suis très heureuse, d’avoir pu, à l’occasion de cet hommage, prêter à Jacques la rédaction des prémices d’un scénario que j’avais écrit il y a de longues années avec Guy.

Je remercie infiniment Jacques De Decker, qui en connaissait bien davantage que moi sur le sujet, d’avoir fait vagabonder nos personnages dans le parc Josaphat.

À tous. Lire la suite