Enfance aux mots dorés dans la lumière bleue

Nande Marie-Ghislain, Alpha, p. 48

 

Dix vingt quatre-vingt-sept Bruxelles en moi qui bougent

en gelée condruzienne ou tonnent et ruissellent

en pluie d’or comme entre les fuseaux

d’une Danaé brabançonnne Lire la suite


Quand j’avais une douzaine d’années et n’étais encore bruxellois que de fraîche date, existait au rez-de-chaussée de la Bourse de Bruxelles, à droite en la regardant du boulevard Anspach, un vaste lieu d’aisances pour messieurs, dont le mur du fond était tapissé d’un nombre qui me semblait très élevé d’urinoirs. Des urinoirs à l’ancienne, qui recueillaient l’urine entre les pieds même des pisseurs. On a fermé ce lieu, m’a-t-on dit, parce que s’y déroulaient des scènes que la morale réprouverait ?). J’ai même entendu dire que des pervers déposaient sur l’un ou l’autre fond d’urinoir des croûtons, voire des pains entiers, dont ils se repaissaient ensuite, lorsqu’ils étaient copieusement trempés des urines des nombreux pisseurs que la présence de ces objets — pour eux sans doute victimes d’un faux pas de leurs porteurs, alors qu’ils cherchaient avec peine à se déboutonner – n’étonnait pas outre mesure. Lire la suite



Au départ, il y a l’anecdote qui est vraie, l’officier de l’état civil qui demande à la grand-mère de Jacques B. quelle est sa langue maternelle, la vieille dame ne comprend pas, qu’est-ce qu’il me veut ?, il veut savoir quelle langue tu parles, alors elle, à l’officier de l’état civil, avec la force de l’évidence, déclare : « Frans hein, Mijnheer », ne voyant pas vraiment pour quelle raison son petit-fils se met à rire, comme il provoquera le rire de ses amis quand, beaucoup plus tard, il leur racontera la merveilleuse et si bruxelloise réplique de son aïeule. À l’ombre du Palais de justice, ils sont tous comme elle, polyglottes impertinents, farceurs et râleurs de première, plus malins que tous les officiels réunis, ceux qui veulent leur coller une étiquette sur la langue, tirez la langue et dites « Aaaah », rien que pour voir si elle est flamande ou francophone, mais quel flamand cette langue tricote ! et quel français orné de fruits exotiques ! avec en prime le bonheur sans partage de rigoler de soi, et aussi des autres, pourquoi pas, de ceux qui se promènent de l’autre côté du boulevard. Lire la suite


J’étais appuyé à la balustrade du bel étage. Un orage venait de se calmer et je prenais plaisir à respirer l’air salubre de la rue, lavée de ses poussières. Rie Van Velse est apparue, elle marchait d’un pas de danseuse, elle sautillait pour éviter les flaques d’eau qui noyaient la rue Jenneval. Lire la suite


Pourquoi diable ai-je acheté ce carnet, moi qui n’écris jamais ? Pour la vue aérienne de Bruxelles qui figure sur la couverture ? La photo n’est pas très bonne, et j’ai tenté en vain de repérer les multiples quartiers où j’ai habité. Pour la qualité du papier ? Mon vieux stylo gratouille sur son grain rugueux. Non, je dois bien m’avouer que m’a prise une soudaine envie d’écrire. Lire la suite


L’esplanade vide où trône la statue équestre de Godefroi de Bouillon, rond-point de pierres grises, cerné par les rails du tramway. C’est là qu’immuablement inquiet de ne pas rater l’arrêt, ayant remercié d’un œil épeuré le conducteur, je descendais. L’incursion sur cette aire vaste érigée sur un remblai me conviait par réflexe à jeter un regard circulaire sur la place rectangulaire et symétrique, mélange de majesté et de calme placide, aux façades régulières symétriquement alignées, parfois évidées de leurs ajours, évents, baies ou châssis, de tout ce qui les tient ensemble et permet leur présence : l’intérieur éboulé, débâti, expatrié, parti, laissant passer l’espace et l’air en arrière-plan de ces pans murés et muets, mués en décor de carton-pâte, accusant l’effet de trompe-l’œil, d’illusion, de leurre attaché à cet endroit qui n’est pleinement lui-même que vide, intensifiant l’effroi suscité par son nom de Coudenberg (montagne froide). Le musée d’art moderne n’y avait encore qu’une discrète entrée et, en snobant l’arche qui embarque vers la porte de Namur, que les chauffeurs ivres emboutissent parfois de plein fouet la nuit, on pouvait avaler les marches solennelles qui montent à l’église Saint-Jacques où, avec la chorale de mon collège, je vagis des fausses notes, noyées par chance dans le concert des choristes, au baptême de celui auquel on accorde quelque quarante ans plus tard le titre de futur roi. Lire la suite


Quatre fois par semaine, j’emprunte à la station Anneessens le tram 56 de très approximativement 13 h 24 pour aller tenir une consultation de médecin-conseil au square Albert 1er. Mes confrères, accros de la bagnole, ne me voient jamais partir sans me souhaiter avec des trémolos bonne chance et bon courage, comme si je m’enfonçais en diligence dans les territoires d’Apaches sur le sentier de la guerre. Il est vrai qu’embarquant dans le ventre de la place où se tient chaque soir le marché du sexe homosexuel, je ne sors du tunnel que pour traverser le quartier de Cureghem, un des plus décriés de la capitale, réputé lieu de tous les trafics, arrachages de sacs et autres car-jackings. Lire la suite