Arrivée à Bruxelles depuis peu, tombant l’habit wallon, troquant sans plus d’état d’âme un genre pour un autre, France, après un rapide premier tour d’horizon, a décidé d’apprendre le flamand sur le tas. Veerle a les os pointus – France a horreur de ça -, mais elle aime papoter après l’amour. Zomaar.

Et vogue la galère ! Trois nuits par semaine, c’est sa peau contre sa peau, puis les mots contre les mots — les yeux dans les yeux, la bouche dans la bouche, le crâne dans le crâne. Exercice de linguistique (physique, sexuistique, urbanistique) appliquée : les vases communicants. Les caresses sont douces et liquides, les intentions très bonnes, les organes ouverts à tout, mais le cœur n’y est pas toujours quand c’est la tête qui voudrait comprendre.

— Zeg maar, Veerle. Dis-moi Bruxelles, ta Bruxelles.

— Bruxelles, c’est toi quand je cours à ta rencontre.

— Mais encore ? Lire la suite


La Senne déborde ! Plus rien ne la contient. Le boulevard Anspach crève sur sa longueur. Les eaux envahissent tout Bruxelles ! Et le Métropole sombre comme un vaisseau immobile. Du Midi au Nord, et du bassin Sainte-Catherine jusqu’au canal, les marais ont refait surface. C’est le retour du refoulé. On est revenu aux origines. Bruxelles est de nouveau Broecksala !

Que s’est-il passé ? Catastrophe ! Monsieur et Madame Vloms Blok, grossistes en bétail, sont arrivés au pouvoir. Et leurs zélés fidèles pleurent. Ils pleurent toutes les larmes de leur corps. Ils pleurent comme des veaux. Et pas des larmes de crocodile.

Eux qui avaient grand appétit, ils voulurent se partager Bruxelles comme un fromage. Et ils mordirent dedans. Mais ce lieu est feuilleté, et non comme un gâteau. Ils eurent l’impression d’avoir planté leurs dents dans un gros oignon, juteux peut-être, mais amer… Et ils ont les larmes aux yeux, Bruxelles est un oignon ! et ils pleurent. Les seigneurs des abattoirs. Lire la suite


Peut-être que, lorsque j’avance cela, je me trompe ; mais peut-être qu’aussi je dis vrai.

Lautréamont

Quelle sera la dernière pierre qu’on trouvera sur les ruines écroulées de Babel ? À ce jour est-elle visible ? Quel nègre, quel asiate, quel indien sera là, sur un chemin désolé, longtemps après qu’aura disparu la ville ?

Qui sait ? Peut-être cette pierre n’est-elle aujourd’hui qu’une énorme araignée velue, dissimulée dans quelque geôle de Babel, que le temps réduira en matière schisteuse, à ce point feuilletée qu’on pourra la comparer à un livre ? Lire la suite


Un cœur qui escalade la colline avec des pentes à vous emballer le palpitant. Qu’en faire ? Anspach et Buis, mais pas seulement, rêvaient d’assainissement. Couvrir la Senne et rattraper le terrain, du côté de la Montagne de la Cour, surtout là où la donzelle s’esquinte et le cheval ahane. Lire la suite


Le ciel avait la couleur des lilas en mai sur Saint Gilles

Quand de l’hiver nous sortions de nos chambres de bonne

Hâves et surpris par la lumière ruisselant des hauteurs

De Forest et du parc Duden, ombres transparentes presque

D’avoir hanté la nuit hallucinogène où murmuraient Lire la suite


Gérald, né en 1910, est à Bruxelles dès 1911. Il habite au boulevard Lambermont. Il apprend à lire et à écrire en 1915 à l’École Moyenne, rue Royale Sainte-Marie, à calculer chez les Frères des Écoles Chrétiennes, rue Van Schoor. Puis il enfourche son vélo et gravit le boulevard Lambermont pour aller au Collège Saint-Michel, s’accrochant à l’occasion à l’arrière d’un camion qui lui facilite la montée longeant le parc Josaphat, pour échapper au plus vite à la zone empuantie et au nuage de moustiques du déversoir d’ordures de la ville, future avenue Léopold II, juste avant le Brésil, série de baraquements où s’abritaient des réfugiés de la guerre 14-18, face au Tir National… Lire la suite


Et si on disait que là-dessus il n’y avait rien à dire, que toutes ces histoires n’étaient que foutaises, le bilinguisme, la nation, la capitale, la noblesse, l’académisme, la littérature, Bruxelles donc, et tout ce qui va avec, parce qu’après tout – ou avant tout, peut-être ; question de sincérité – combien y aurait-il d’habitants dans cette ville si nous n’étions pas forcés d’y habiter ? Lire la suite



Quand Louise apprit qu elle était malade, elle comprit pourquoi la sirène des ambulances qui glaçait chacun sur place un bref instant était plus qu’une corne de malheur, c’était, elle en était certaine maintenant, plutôt le souvenir du sifflet de l’instituteur qui les arrachait aux grâces féroces des jeux de l’enfance qui lui revenait d’un coup sec. C’était cela qu’elle avait craint toute sa vie, se disait-elle en bouclant sa valise, le sifflet de l’instituteur, puis les cris des soldats, des gendarmes, de toutes les forces de l’ordre qui l’avaient forcée à fuir son cher Congo, la terre où sa parcelle l’attendait et que les voleurs avaient saccagée joyeusement à peine avait-elle pris place dans l’avion qui l’avait déposée dans les brumes bruxelloises cinq ans plus tôt. Lire la suite