À Redu, village du livre et de l’espace, symbole du réveil du vieux pays, je marchais dans la poussière des travaux et j’entrais, ébloui par le soleil de juin, dans toutes les librairies, fraîches et sombres comme des grottes. Je cherchais des ouvrages anciens sur l’Ardenne et la Wallonie, sur la faune et la flore, sur les traditions et le folklore, sur les fermes et les hameaux, sur les villes, les mines et les industries d’autrefois. Les bouquinistes me montraient des albums de photographies et des livres d’histoire, des brochures touristiques et des recueils de contes et légendes.

Chargé de sacs en plastique, je rejoignis l’hôtel dont j’occupais l’unique chambre. Il me restait à inspecter la librairie générale que tenait mon hôte. Au bout d’une heure, j’avais découvert deux romans que je feuilletais avec fièvre, debout devant les rayonnages. Je sentais que, tout récents qu’ils fussent, datant d’une dizaine d’années, Les Peupliers et Les trous de la rue Lartoilallaient m’aider à voir plus clair dans de lointaines origines wallonnes, longtemps refoulées, voire reniées. Lire la suite


ô hommes ravagés par le travail

et habillés de vêtements flottants

pourquoi faut-il qu’après tant d’ans il faille

cheminant dans les vieux chemins du temps

vous revoir avec vos bouches sans dents

sans mots sans jurons contre la Fortune

aveugle qui vous fit dans la commune

où je suis né œuvrer toute la vie

où vous voilà traînant votre cothurne

usé aux ateliers de ce pays ?

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Fixer enfin la vision tournoyante que j’ai toujours eue de ma terre d’origine. Détacher un peu de cette lumière qui baigne mes souvenirs français pour en éclairer Liège, La Louvière et Jemeppe-sur-Sambre. Y chercher un autre butin que des images de désastre. Essayer de faire coïncider les Wallonies successives et contradictoires qui se sont offertes à moi. Renoncer aux cavatines de la défaite.

L’opacité, l’ennui, l’immobilité, à quoi se résume dans ma mémoire toute mon enfance, laissent pourtant subsister quelques rares lézardes, par où filtrent des rayons obliques. Les jeux de visite médicale avec Jeanine Waelravens, de part et d’autre de la haie du jardin, ou bien ma conversion à la musique, le jour où j’ai entendu le deuxième mouvement de La jeune fille et la mort, j’y repense avec plaisir : ils se limitent pourtant à un simple savoir, ils n’ont aucune force sensible. Mais je ne peux entendre sonner à toute volée les cloches d’une église les jours de fête (comme ce 15 août à 10 heures dans ce village alsacien où j’écris ces lignes) sans me retrouver, moi-même et un autre, à Wavre, dans le présent éternel. Lire la suite



À J.-L. D., belgologue émérite

 

Exercice de composition française : Imaginez de décrire les Wallons, vos compatriotes, à l’usage d’un ami français de passage[1]

 

Cher Jean-Louis,

 

Tu m’as fait l’honneur de me demander quelques renseignements sur les Wallons, peuple dont je fais partie, encore que de manière assez particulière, étant Liégeois de naissance, exilé à Bruxelles depuis un demi-siècle. M’efforçant d’oublier ce particularisme (mais cela, je le reconnais, ne me sera guère aisé), je te propose le rapport ci-dessous, rédigé, je l’avoue, de manière un peu universitaire. Que veux-tu, à mon âge, on ne se refait pas.

 

  1. Cadre institutionnel et linguistique

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je suis née à Opbrakel le 6 octobre 1951 / en fin d’après-midi / on battait le grain dans les fermes de Wodecq / mes parents n’avaient ni voiture ni téléphone / mon père est allé chez Jean et Julia sur sa large moto noire / de moteur Sachs I Jean est venu en Volkswagen chercher ma mère pour la conduire à la maternité la plus proche / Opbrakel / où se rendaient les femmes du village qui souhaitaient accoucher en clinique / Julia est Flamande / Jean est Wodecquois / leur quatrième fille / Hélène-Marie / est née à la ferme un an plus tôt / à présent ils ont une voiture / comme trois autres familles de Wodecq / c’est parce que le frère de Julia en a une depuis longtemps / la même / il habite Schorisse Lire la suite


Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré [1],

L’appel aux compétences que vous lancez dans le respect de la loyauté fédérale va très certainement réunir un certain nombre de compétants et même un nombre certain de cons pétants qui se sont fait une spécialité de la plongée en apnée dans les grands abysses de notre flaque d’eau régionale puisque la météo nationale n’annonce aucune amélioration locale, sauf durant la nuit, où l’on nous prédit pour les prochains jours quelques éclaircies. Lire la suite


1996 – Un homme, une femme, des enfants, des arbres fruitiers : nous, un monde. Ce pourrait être partout, mais c’est ici, bien ici. Au bord de la Marka (moi qui ai connu Sambre Meuse et Senne), les pieds dans la glaise noire et mouillée, la terre à betteraves.

C’est quelque part en Wallonie. Avant nous il y a eu les Celtes les Romains les Huns, Louis XIV le duc de Marlborough, Napoléon Wellington, et d’autres hommes qui n’avaient pas froid aux yeux ni aux mains. Des gens d’ici et d’ailleurs. Lire la suite



Un soir de pluie qui dévale du ciel sur un paysage de jardins bricolés et de potagers abondants. Un soir de pluie qui n’arrive pas à décrasser la pâle extinction des rues et des places chahutées de baraques à frites ou à gaufres. Il pleut pour rien. Le passant pourra dire de cette averse qu’elle fut comme il n’en avait plus vu depuis longtemps, mais c’est tout. Il ajoutera peut-être « comme vache qui pisse », mais décidément non, il ne pourra rien tirer de la vue du paysage inondé et transi. Tout est engourdi maintenant dans ses souvenirs, tout s’emboîte gauchement. Il ne se rappelle plus vraiment ce qui fait la différence. Ça reste flou, ça tremble un peu, ça glisse alors lentement vers un peu de lumière, puis ça coule soudain dans des impasses. Lire la suite