« Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! » *

 

 

Malléabilité est-elle responsabilité ?

Au procès des Éléments

la question suscite un silence

qui dépasse les trois minutes

Trois minutes à l’échelle de la Nature

en dépit de ses brusques éclats

peuvent devenir trois mois

trois ans  trois siècles

quelques ères où l’Élément

peu à peu se transforme en dieu

réellement

Le temps d’une prise de conscience

semblable à celle survenue

entre singe et homme Lire la suite


Il se demande s’il va en reprendre une. Il est étendu sur sa paillasse de plage, les jambes un peu écartées, ses épaules rouges, son ventre ballottant avec des poils blonds, son short ouvert pour la digestion, son genre je-promène-mes-couilles-il-faut-bien-qu’elles-prennent-l’air. Celui-là, je l’ai vu tout à l’heure au bar, il discutait avec un de ces pourvoyeurs de gamines que j’ai appris à repérer depuis seulement dix jours que je suis ici. Je sais qu’il en a eu une dans la matinée. Toutes les couvertures, tous les prétextes sont bons : l’adoption, le parrainage pour la scolarisation, la candidature au mariage même, avec les plus âgées. Cela finit dans un endroit variable, mais toujours par la même séquence lourde, cadeaux dérisoires, sourire gêné ou résigné de la fille, préliminaires hâtifs et puis il la gobe comme un œuf en soufflant comme un bœuf, plus elle est jeune et plus elle est étroite, il aime avoir la sensation qu’il la force un peu, cela dure à peine cinq minutes et déjà il s’excuse presque, il la console et cela fait encore partie de son plaisir, les pauvres petites comme il les aime il voudrait bien les consoler toutes, ce pays, cette pauvreté, pas d’avenir, ce sont comme ses enfants, des enfants pas encore perverties par nos contraintes occidentales économiques vestimentaires judéo-chrétiennes féministes et j’en passe: presque des animaux, et dociles avec ça, mais quel regard profond, on s’y noierait. Il m’a dit ça au même bar hier où il commande ses consommations de tous ordres, les tequilas et les fillettes, après le cinquième mojito j’ai cru qu’il allait me proposer de l’accompagner. On s’y noierait… je vous dis… on s’y noierait… Lire la suite


Dès mon arrivée à Kerkova, j’ai senti la présence de l’Atlantide. Jusque là je n’y avais pas cru : c’était une lubie de Dogan, une pure hallucination. Je n’avais accepté de venir voir sur place que par goût invincible du mystère, même si ce mystère n’existait que dans les vapeurs d’un cerveau alcoolisé.  A présent, je voyais et je croyais. Lire la suite


Selon les dernières estimations, 160 000 personnes auraient péri lors du désormais fameux tsunami que le père Noël — ou serait-ce le petit Jésus ? — a offert à la planète médusée en guise d’étrennes.

Je n’ai jamais été très douée en calcul mental, mais je voudrais tenter de me faire une idée précise de ce que cela peut représenter, une masse de 160 000 morts, à la lumière de quelques cataclysmes relativement récents et dont aucun ne fut aussi naturel que celui dont il est question ici. Lire la suite


Trempé jusqu’aux os par la giboulée, Ioshida Dosumaru pressait le pas. La route d’Edo avait bien changé depuis le temps des shoguns, mais point le triste sort du marcheur solitaire. Simplement, au lieu de se retrouver projeté sur le bas-côté par l’escorte d’un prince qui hurlait de faire place, il se faisait éclabousser par les automobiles qui le frôlaient à la vitesse du vent.  C’est dire que le jeune novice n’avait pas le loisir de contempler le reflet des nuages dans les flaques d’eau. Même le mont Fuji se perdait dans ce déluge. Un haïku transi de froid se posa sur ses  lèvres.

Sur la route d’Edo

Bain forcé

Fuji-san prend sa douche Lire la suite


Une condensation particulière, le bleu du ciel qui se tend en un câble rose et or, la brume au loin qui noircit, les oiseaux qui montent en flèches et tombent comme des pierres, le vent qui frôle au loin la surface des eaux …

Je reviens lentement à moi, trop de bonheur récent a failli me distraire, assis sur le banc froid devant l’appartement flottant dans la lumière sale de l’hiver, je vois que la maison familière que je voulais habiter de mes désordres et des femmes volages que je m’étais refusées jusqu’alors, était cet appartement aux fenêtres circulaires où la pluie glisse sur les vitres trop fines. Lire la suite


Pourquoi Isa ?

Car, à la voir, j’intuitionnai la nuit d’opium, un pont d’absolu, connaissant un fracas sans nom, butant sur son corps sculptural. Tout fut sans hasard aucun. Sa voix frôlant l’aria soprano m’annonçait un visa pour la salsa du nu. Talons balançant dans l’air austral, irradiant un pur saphir du plaisir, Isa braqua ma narration, mon joyau, signa l’apparition du vrai. Son aura, son corps parfait, foudroyant, son parfum subtil coulant au finish, son cri kaki qui ricocha sur moi : tout indiquait mon sud, mon infini azur. Isa parut, jaguar sur moi bondissant, chuchotant « vingt ans d’amour pur, promis ». Moi qui captai son cristal vif, aigu, son tsunami qui charma mon la, moi qui pour Isa conçus mon oblation à l’optatif, lui soufflai « toi-moi pour un trip navigation jusqu’aux paradis à gogo, au fil d’un grand art marin. Tous nos sous-bois jouiront, hors Chronos, dans l’Orion natal ». Mais Isa n’avait pas lu Char.  Lire la suite


Il y a deux mois, la mer s’agitant dans l’Océan indien au point de détruire des localités entières et d’emporter des centaines de milliers de victimes. On dit à présent que ce séisme, déjà, n’est plus « d’actualité ». Comprenez : il n’alimente plus les médias, les supports d’information ont trouvé d’autres grains (ceci était cependant un très gros grain) à moudre. La farine en question n’était pas facile à commenter : dame, à qui faire endosser la responsabilité du désastre ? Tout le jeu, de nos jours, ne consiste plus à déterminer à qui la faute, mais plutôt à cerner les responsables. Qui, une fois identifiés, pourront faire très précisément la distinction : responsables, oui, certes, mais coupables, ça non ! Le poids de la faute a cessé d’occuper les rayons des boutiques d’idées contemporaines. Il n’est plus de stock.

De toute manière, dans le cas des meurtrières inondations qui se sont produites durant la trêve des confiseurs occidentaux, la question de la responsabilité a fait long feu. À qui faire porter le chapeau d’un glissement de couches tectoniques dans les fonds marins ? Il fut un temps où le grand ordonnateur était désigné d’office : c’était Dieu, classé de toute manière hors catégorie. S’il en avait décidé ainsi, il était vain de faire son procès, puisqu’il était l’unique dépositaire absolu en matière de bien et de mal. On ne critique pas l’inventeur des règles du jeu. On peut crier vengeance à son endroit, on peu le maudire, tout en sachant qu’il a lui aussi la haute main sur le mécanisme de la malédiction. Lire la suite


I’ll let you see me

I’ll covet your regard

I’ll invade your demeanor

And you’ll yield to me

Like a scent in the breeze

And you’ll wonder what it is about me

Fiona Apple, Slow like honey

J’étais en train de parcourir la liste des enfants inscrits pour le camp, le jour du départ. Il faisait plein soleil sur la place où attendait le car et Marine, à côté de moi, était déjà occupée à accueillir les premiers arrivants.

— Putain, c’est quoi pour un prénom, ça, Inouance ! m’exclamai-je à son adresse. Y a des parents qui sont dingues, pour donner un nom pareil à leur gosse. Tu t’imagines ? Inouance, quoi, j’ai jamais entendu ça !

— Tu peux parler, avec ton prénom à toi. C’est pas courant non plus, Dorsan. Lire la suite