Premier tableau

De l’autre côté du bras de mer, pépiaient les oiseaux ; je t’attendais sur l’embarcadère crinière au vent.

Viens sur mon confetti de sable, le homard est sur la table, du plus loin qu’il m’en souvienne, tu en pinçais pour lui.

Pas de quatre ni même deux roues, ici les habitants n’ont que deux pieds suspendus sur l’eau.

Parfumé dans l’air, bulles champagne Dior, je cours en zigzag après les cerfs-volants.

Ici il n’y a rien il faut tout inventer, si je creuse un trou c’est pour m’y lover.

Les battants du bahut de grand-mère gémissent quelquefois la nuit, les secrets bien gardés sous les nappes en crochet dorment dans les coquelicots fanés.

Les abeilles ont envahi le cœur des trémières, j’ai mis les ruches face au continent.

Je m’en vais il fait soleil, recharge ta pile avant de traverser. Lire la suite


« Putain de crachin… » Willy pestait en boucle. À travers les gouttes, on n’y voyait qu’à deux mètres. Il se déplaçait dans un brouillard nocturne, gras et épais, presque solide.

Quelques heures plus tôt, il s’était rendu, comme prévu, sur un parking désert qui jouxtait une petite route entre Ninove et Zandbergen. Il avait garé sa voiture au milieu de ce no man’s land. Le camion l’attendait silencieusement. C’était un énorme trois tonnes, un tracteur routier jaune et noir avec un fourgon imposant. Il avait calmement grimpé dans la cabine comme s’il avait fait cela toute sa vie. Il avait dissimulé son excitation et sa nervosité comme un vrai professionnel. « Tout commence pour le mieux », avait-il pensé. Et il avait fait démarrer le mastodonte sans même jeter un œil sur le contenu de la remorque. Bien sûr cela l’intriguait au plus haut point. Mais c’était un des éléments clés de sa mission : résister à sa propre curiosité. Il avait donné sa parole et pour rien au monde, il n’aurait voulu tout gâcher. Lire la suite


Une voix de la régie :

— Le Journal présenté par Personne Nimportequi.

— Bonjour. Voici les principaux titres : un chien mordu à Morlanwelz, une sortie de route à Wilsele, une heureuse nouvelle à la Cour du Liechtenstein, une rentrée réussie pour Michel Sardou, une escapade en amoureux pour Nicolas Sarkozy, un nouveau record du 60 m en salle pour une athlète jamaïcaine. Voyons tout ceci en détail. Lire la suite


— Bonjour, Monsieur le directeur, que la journée soit bonne !

— Merci, Frédéric.

Il se redresse. Ne pas se laisser aller. La cinquantaine déjà. Chaque matin, devant la glace, il s’observe de haut en bas avant de se raser. Les cheveux grisonnent-ils encore ? Oui, un rinçage est nécessaire. Les poches sous les yeux se sont-elles stabilisées ? La crème au collagène est efficace. Les rides faciales doivent être observées, le double menton se relâche légèrement. Il devrait prendre rendez-vous pour un massage. Il gonfle la poitrine, mobilise ses hanches. Le sexe ? Il ressent une certaine fatigue ces derniers temps. Trop de tennis, trop de déjeuners ? Et puis Jenny, sa nouvelle amie, est à la fois pleine de séduction et d’exigences… Lire la suite


Brussel virgule le onze novembre deux mille soixante-dix-neuf virgule devant le majuscule-p Penseur de majuscule-r Rodin virgule premier bronze coulé sur une vingtaine virgule destiné à la sépulture du collectionneur d’art flamand Jef Dillen dans le cimetière de Laeken double point à la ligne mise en fonction mode image

Tour de statue, que mon PolyCorder engrange sous tous les angles avant de s’arrêter sur la plaque de bronze boulonnée dans le socle. Auguste Rodin, De Denker. Le menton repose sur le poing droit, dont le coude s’appuie sur la cuisse gauche où, curieusement, s’allonge aussi l’autre bras, dans une position peu naturelle, comme si le spectacle du monde imposait à l’homme une torsion, une crispation du corps dévoilant celle de la pensée. Lire la suite


Deux maisons de bouche ostendaises se disputaient naguère la palme du restaurant portuaire le plus couru. Deux usines du mal manger, disait ma grand-mère. Elle ne jurait que par les « armes de Bruxelles ».

Ils ne désemplissaient jamais. Le Belgica, on y parlait français, fut rasé après la faillite et remplacé par une construction hideuse. Bye, bye Belgica. Son concurrent chanceux, le « Flandria » tourne encore à plein régime, tandis que les touristes d’un jour engloutissent leurs douteuses barquettes de poisson mayonnaise vendues trois euros sur les quais.

Belgica ? Aucun vaisseau ne porte désormais le nom du vaillant navire d’Adrien de Gerlache détruit par les glaces de l’Antarctique en 1898. La Belgica n’est plus qu’un vaisseau fantôme, une belgitude volante qui hanterait nos inconscients. Lire la suite


Nihil obstat.

Monseigneur l’archevêque van Mechelen-Brussels

Il eût pu se prénommer Félix, Auguste, Flavio ou même Jules, voire Marc-Antoine. Ses parents ne parvenaient pas à choisir. D’autant qu’in illo tempore, nul moyen n’existait de prévoir in utero le sexe du petit ange qui serait mis bas après quarante semaines de gestation.

Ils réfutèrent cependant d’office Quasimodo, car leur rejeton serait forcément beau ; Nemo car il deviendrait fatalement quelqu’un ; Marius car propriété folklorique d’un écrivain francophone marseillais ; Néro, car bien qu’augurant une vocation de pyromane, ceci désignait un détective états-unien susceptible de finir en bande dessinée (or dans le lignage, il y avait eu déjà un ancêtre, De Mesmaeker, et chacun savait ce qu’il en advint via les aventures de « Gaston »)… Le problème fit périodiquement l’objet de réunions in situ du clan, sans qu’un accord ne fût conclu. Lire la suite


Delavacherie. Maurice Delavacherie.

S’il y avait bien un nom que Maurice Delavacherie ne pouvait pas sentir, c’était le sien. Et cela avait commencé à l’école, dès son plus jeune âge… À l’époque déjà, tout le monde se moquait de lui. On l’appelait la Vache, le Vachard, la Vacherie, la Vachette, Peau de Vache et même Tête de Veau, ou encore le Vachin, un mot qu’il n’avait jamais entendu et qu’un certain Victor Jung, un condisciple beaucoup plus déluré que les autres, avait aussitôt transformé en Vagin… Lire la suite


Quo vadis, Belgica ? Oui, c’est vrai, il vaut mieux recourir au latin, retrouver cette bonne langue de nos premiers colonisateurs, cette bonne langue des anciennes messes, celles où on ne comprenait rien et qui, dès lors, possédaient une magie, un mystère qui enchantait davantage que le français actuel, souvent gnangnan à mes oreilles lors des rares fois où j’assiste encore à une messe, à l’occasion d’un deuil ou d’un mariage (quel plaisantin du fond de la classe vient de crier « C’est la même chose » ?), oui, en ces temps de fureurs où certains se racrapotent sur leur langue comme une araignée sur une précieuse mouche, le latin c’est plus neutre, moins explosif, il ne trahira pas d’où je viens, dira pas où je suis née, pas d’accent pour qu’on me situe du Nord ou du Sud, ou du centre, notre capitale chérie, que tout le monde revendique, pas nécessairement par amour, non, rien que pour emm… les autres, alors Bruxelles ma belle, comme chante Dick Annegarn, que va-t-on lui faire ? On veut l’écarteler ? La déchirer ? La couper en deux comme l’enfant revendiqué par deux mères, histoire de satisfaire tout le monde ? Y a-t-il un Salomon dans la salle ? Lire la suite


As Salamou Alaykoum Wa Rahmatou Allahi Wa Barakatouhou !

Je me présente : Moutanabbya al Ghadeba, la prophétesse en colère, l’une des millions d’enfants de Mohammed l’Immigri.

Prêt à l’abandon total ? C’est ce que tu exigeais de moi voici quarante ans — si tu t’en souviens — dans ma piaule d’étudiante maghrébine à Louvain. De loin en loin j’ai suivi depuis lors ton parcours clandestin. Même si jamais plus tu ne t’es soucié de ce que j’avais pu devenir, c’est avec plaisir que je réponds à ton vœu. Qui sait ? Peut-être ces paroles, jaillies de mon cœur, franchiront-elles une borne que je devine à tes horizons intérieurs. Inch’Allah ! Lire la suite